Pour faire cette belle rencontre il a
fallu forcer le hasard en sortant d’abord de la nationale 14 pour laisser carrément
derrière soi le flux vorace des voitures, des camions, taxis collectifs et
autres engins lourds et menaçants de transports dans les deux sens…
A partir de ce moment là, et comme dans
un conte, s’est ouverte la porte sans porte d’un autre monde …
Telle une ile dont la crête rocheuse fend le ciel…
Bien
observée, cette photo peut paraitre aussi
fantastique qu’une image d’antan émergée de siècles révolus… Pourtant, à
vol d’oiseau, je n’étais qu’à une
quinzaine de kilomètres de la ville de Tiaret, capitale des hautes plaines du
Sersou, grande ville qui comme tant d’autres villes d’Algérie est en pleine
expansion de nouvelles constructions de briques et béton…
Ici,
j’ai pu constaté qu’à l’écart des nationales et des petites départementales subsistent
encore de très longues pistes de terre battue ; des pistes fiables et
larges même si silencieuses et vides en ces premières heures d’août ou, de loin
en loin, on ne rencontre qu’un petit troupeau de moutons que mène un jeune
berger solitaire, écrasé par le soleil…
Algérie, miracle d’une rencontre
Engagée
sur la piste vers le piton rocheux, la
voiture a roulé de longues minutes en soulevant derrière elle une brume de poussière
qui n’a duré qu’un instant avant de s’abattre au sol où elle disparu comme par
enchantement entre caillasse et traces de pneus…
Pistes au ras des labours à peine commencés
J’avoue
que si à ce moment là je n’y pensais pas du tout, longtemps après me sont
revenus des souvenirs de livres ou de films anciens enfouis dans la
mémoire, par bribes: ceux de la campagne sicilienne, par exemple, des
plaines hongroises ou encore ces fameux paysages campagnards à l’américaine « perdus »
à n’en plus finir…
Le mausolée de Sidi Rabah abu qobrin tel un nid d’aigle
Après
avoir escaladé plus de la moitié de la cote, je photographiais à travers la
vitre passager une première qouba dont le territoire était cerclé de fil de
fer. Isolée, elle était complètement fermée, comme mise en quarantaine ou en
attente… Les herbes folles tout autour donnaient l’impression d’être plus
brulées qu’ailleurs par le four solaire. Pas un pépiement d’oiseau. Seuls
quelques jeunes pins vifs grimpent gaiement au ciel. Air pur…
Regardant loin devant moi je vois
un homme descendre lentement, très
lentement à pied, le petit chemin, pavé me semble—il, entre le mausolée et le
terre-plein où je dois arrêter la voiture. Il est habillé d’une ‘ abaya à
traits verticaux dorés et blancs. Cheich blanc. Malgré l’ombre de ce chemin,
l’homme rayonne. Quelque chose me dit qu’il devait certainement du sommet observer
le lent cheminement de la voiture depuis le début de la piste. .. Descend-t-il
m’accueillir ? Sérénité…
Poignée
de main chaleureuse ; sourire et mots de bienvenue. Il veut m’inviter (c’est
certainement le Mokaddem), avant même la visite, à prendre un café chez lui,
dans la maison qui se trouve à quelques mètres de ma voiture, en face d’une
citerne d’eau nez en l’air (est-elle pleine ? vide ?...) Je le
remercie et dis que je voudrais d’abord monter jusqu’au mausolée, le
visiter ; que pour cela, l’ayant aperçu de très loin alors que je roulais
sur la nationale, j’ai fait le chemin vers cette halte. Détermination et
contentement de ma part. L’homme vénérable n’insiste pas. Il me dit qu’il va m’accompagner
et nous nous mettons à monter le chemin en escalier, cimenté ; moi posant
quelques questions pour mieux connaitre le lieu de ce mausolée, son saint et
son histoire…
Tout
en haut du piton rocheux, il y a en fait trois qoubate. La première et plus
grande est celle de Sidi Rabah abu qobrin. A l’extrême droite est la qouba de
son épouse Hana Maymouna. Celle du milieu de Moulay Abdelkader dont mon hôte ne
sait pas exactement s’il fut un disciple dévoué ou un visiteur de passage
dont la vie avait finie là ?...
A
la question de savoir à quel temps tout cela remonte, il sourit puis fait un
geste de la main qui rame comme une aile : que de temps, que de temps…
Il
me parle d’abord par bribes, lui qui a 83 ans, de ses propres souvenirs
d’enfance. De son père et d’avant son père….
« De
tous temps on vient prier ici. Avant le colonialisme, c’était Sidi Ahmed
Benyoucef de Miliana qui enseignait aux étudiants et aux disciples comme l’avait
fait Sidi Rabah avant lui pour les élèves qui venaient des quatre points
cardinaux de cette terre… »
Il
se tait un moment, sondant de ses yeux l’ombre des temps puis répond :
« Peut être cela fait-il quatre
siècles ».
Peut
être…
Quant
au surnom du saint homme nommé abu qobrin (Sidi Rabah aux deux tombes), il
regarde vers le nord, à l’infini des plaines céréalières qui s’étendent à
plusieurs dizaines de mètres sous nos pieds, sous nos yeux et, le sourire
généreux sous sa fine moustache, il explique : « C’est qu’il a un autre tombeau, à Thlatha Matmata, a à peu prés
quarante kilomètres tout droit d’ici, là bas (il tend le bras et le doigt) où l’un de ses disciples avait voulu aussi
l’enterrer… »
Il
n’en dit pas plus.
Il
a peut être tout dit. Les questions, toutes questions, peuvent elles vraiment
éclairer le mystère de la voie ?..
L’essentiel
n’est-il pas que le tombeau de Sidi Rabah soit bien ici, dans cette qouba qui
nous fait face, impeccablement illuminée jour après jour, saisons après saisons
par la rotation des astres et l’air pur?
Après
avoir fait le tour du tombeau, je me suis assis par terre, jambes croisées,
face à mon hôte et commencé à lui raconter quelques bribes de souvenirs
d’enfance quand, avec ma grand-mère, nous allions en visite, par trolleybus et à pied, d’un saint d’Alger à
un autre, de sidi Abderrahmane et Sidi Mansour à Sidi Yahya, de sidi M’hamed à
Notre dame d’Afrique, et avec des rubans étroits de couleur qu’elle portait
avec elle pour la ziara ma grand mère d’en nouer toujours un à la plus haute
branche possible d’un figuier dans l’espace du mausolée…
Puis,
un souvenir en entrainant un autre, nous nous sommes mis je ne sais par quel
tour d’images à parler café, torréfaction et café moulu à domicile, -oh juste le
contenu d’une assiette, à l’ancienne-, avec cet indicible arome le matin… Je
lui raconte que dans la vieille maison de mon grand père à Belcourt, aujourd’hui
disparue, l’air était chaque jour saturé
de l’odeur du café à cause d’une usine Nizière implantée au centre du quartier,
sauf le samedi et dimanche… A cette évocation, lui se rappelle qu’il y a
quelques dizaines d’années quand on faisait parfois du café (un produit de
riches, un produit de luxe) dans la ferme tout en bas de la plaine, son arome montait,
montait pour arriver jusqu’à lui en haut
du piton rocheux qui le savourait…
On
parla aussi de la Syrie, de la Palestine, de ce que fut l’Algérie plus d’un
siècle durant… On parla surtout de la
vie en général , du peu que représentent nos vies en ce monde, de la nécessité
d’être simple comme d’être prêts à des changements inéluctables qui
interviennent souvent avant même qu’on ne les pressente…
Devant
la tombe de sa mère, Chaalal Khadidja
Départ
Je devais reprendre la route, encore longue à
travers plaines et montagnes avant d’atteindre les banlieues de la capitale… Je
m’apercevrais bien après en atteignant l’autoroute-est-ouest que durant ces
longs moments amicaux d’entretien où nous avions brassés tant de choses de l’univers
nous n’avions en fait jamais évoqué la mer, même pas de nom…
Loin
en bas dans la plaine, il m’indiqua la petite ville de Sidi Hosni, qui avait
porté un autre nom de saint mais à qui l’on donna le nom d’un combattant de la
guerre de libération nationale en hommage posthume.
Et
pas l’infime trace d’un klaxon, d’un bruit lointain de train, d’un avion perdu
dans la stratosphère ou même d’un oiseau. Seule la caresse du vent au dessus du
vide sidéral des plaines qui ondulent loin jusqu’au pied des montagnes qui
s’estompent dans la brume éclatante d’août…
Ma
visite aurait pu s’achever là. C’était compter sans la générosité subtile et
insistante de mon hôte. Il m’invita d’abord à prendre pour la route un morceau
de galette qu’il alla chercher à l’intérieur de la maison dont il laissa la
porte d’entrée grande ouverte… J’avais à peine mis le moteur en marche qu’il m’appela
et le vis, à l’intérieur de la pièce, mettre au coin de l’entrée un fauteuil de
plastique blanc. Il insista… Une fois là j’appris que j’étais l’hôte de la
maison pour un simple couscous que sa
belle fille préparait… Et ses petits enfants, filles et garçon, sortirent m’embrasser
et me souhaiter en riant la bienvenue…
La
pièce, simple, avait deux fenêtres aux volets clos. Des matelas recouverts d’un
tissu de velours vert étaient posés le long du mur à même le sol sur un tapis
sobre tressé…
Au
mur, une grande carte ocre et rouge des conquêtes du temps du Prophète lui-même…
Derrière moi, le grand cadre des 99 noms d’Allah…
Et
là sous les 99 noms du Maître des Univers, l’hôte dressa le couvert sur une
table basse en bois qu’il rapprocha de mon siège. Le plateau arriva enfin de la
cuisine certainement où j’entendais les enfants rire et chuchoter avec leur
mère. Je ne pris pas de photo de la
table servie et n’y pensais pas... Le repas que nous partagions se constituait
en fait d’un petit plat de couscous accompagné de lait caillé, de petites
tranches de pastèque et grappes de raisin noir.
Succulent.
Texte et photos :
Abderrahmane Djelfaoui
Beaucoup de cœur et d'émotion.
RépondreSupprimerSainte humilité vertu qui n'a pas été créé par l'homme mais par Allah.
Chapeau bas à cette volonté et motivation pour la satisfaction de l'esprit sans oublier la générosité du partage que notre ami Abderrahmane Djelfaoui nous apportes pour la bonne cause culturelle , oui... (Un militantisme s'impose de nos jours pour)...Bonne continuation et mille mercis pour ces précieuses découvertes que tu partages avec nous .
RépondreSupprimerc'etait un veritable regal.des photos magnifiques d'une region que je decouvre grace a toi mon cher ami. TU merites une tonne de begnets accompagnés d'une citerne de the a la menthe...
RépondreSupprimerMohamed Ould Mammar
merci pour cet véritable voyage de partage
RépondreSupprimerMerci Abderahmane pour ce voyage ici bas ici chez nous. le visage de cet homme illumine le paysage de beauté et d'humilité. Merci pour le partage.
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