lundi 8 août 2016

Telle une ile dont la crête rocheuse fend le ciel…

Pour faire cette belle rencontre il a fallu forcer le hasard en sortant d’abord de la nationale 14 pour laisser carrément derrière soi le flux vorace des voitures, des camions, taxis collectifs et autres engins lourds et menaçants de transports dans les deux sens…

A partir de ce moment là, et comme dans un conte, s’est ouverte la porte sans porte d’un autre monde …

Telle une ile dont la crête rocheuse fend le ciel…


Bien observée, cette  photo peut paraitre aussi fantastique qu’une image d’antan émergée de siècles révolus… Pourtant, à vol  d’oiseau, je n’étais  qu’à une quinzaine de kilomètres de la ville de Tiaret, capitale des hautes plaines du Sersou, grande ville qui comme tant d’autres villes d’Algérie est en pleine expansion de nouvelles constructions de briques et béton…

Ici, j’ai pu constaté qu’à l’écart des nationales et des petites départementales subsistent encore de très longues pistes de terre battue ; des pistes fiables et larges même si silencieuses et vides en ces premières heures d’août ou, de loin en loin, on ne rencontre qu’un petit troupeau de moutons que mène un jeune berger solitaire, écrasé par le soleil…

Algérie, miracle d’une rencontre

Engagée sur la piste vers le piton rocheux,  la voiture a roulé de longues minutes en soulevant derrière elle une brume de poussière qui n’a duré qu’un instant avant de s’abattre au sol où elle disparu comme par enchantement entre caillasse et traces de pneus…

Pistes au ras des labours à peine commencés


J’avoue que si à ce moment là je n’y pensais pas du tout, longtemps après me sont revenus des souvenirs de livres ou de films anciens enfouis dans la mémoire, par bribes: ceux de la campagne sicilienne, par exemple, des plaines hongroises ou encore ces fameux paysages campagnards à l’américaine « perdus » à n’en plus finir…

Le mausolée de Sidi Rabah abu qobrin tel un nid d’aigle 


Après avoir escaladé plus de la moitié de la cote, je photographiais à travers la vitre passager une première qouba dont le territoire était cerclé de fil de fer. Isolée, elle était complètement fermée, comme mise en quarantaine ou en attente… Les herbes folles tout autour donnaient l’impression d’être plus brulées qu’ailleurs par le four solaire. Pas un pépiement d’oiseau. Seuls quelques jeunes pins vifs grimpent gaiement au ciel. Air pur…



Regardant loin devant moi je vois un  homme descendre lentement, très lentement à pied, le petit chemin, pavé me semble—il, entre le mausolée et le terre-plein où je dois arrêter la voiture. Il est habillé d’une ‘ abaya à traits verticaux dorés et blancs. Cheich blanc. Malgré l’ombre de ce chemin, l’homme rayonne. Quelque chose me dit qu’il devait certainement du sommet observer le lent cheminement de la voiture depuis le début de la piste. .. Descend-t-il m’accueillir ? Sérénité…



Poignée de main chaleureuse ; sourire et mots de bienvenue. Il veut m’inviter (c’est certainement le Mokaddem), avant même la visite, à prendre un café chez lui, dans la maison qui se trouve à quelques mètres de ma voiture, en face d’une citerne d’eau nez en l’air (est-elle pleine ? vide ?...) Je le remercie et dis que je voudrais d’abord monter jusqu’au mausolée, le visiter ; que pour cela, l’ayant aperçu de très loin alors que je roulais sur la nationale, j’ai fait le chemin vers cette halte. Détermination et contentement de ma part. L’homme vénérable n’insiste pas. Il me dit qu’il va m’accompagner et nous nous mettons à monter le chemin en escalier, cimenté ; moi posant quelques questions pour mieux connaitre le lieu de ce mausolée, son saint et son histoire…




Tout en haut du piton rocheux, il y a en fait trois qoubate. La première et plus grande est celle de Sidi Rabah abu qobrin. A l’extrême droite est la qouba de son épouse Hana Maymouna. Celle du milieu de Moulay Abdelkader dont mon hôte ne sait pas exactement s’il fut un disciple dévoué ou un visiteur de passage dont la vie avait finie là ?...
A la question de savoir à quel temps tout cela remonte, il sourit puis fait un geste de la main qui rame comme une aile : que de temps, que de temps…
Il me parle d’abord par bribes, lui qui a 83 ans, de ses propres souvenirs d’enfance. De son père et d’avant son père….
 « De tous temps on vient prier ici. Avant le colonialisme, c’était Sidi Ahmed Benyoucef de Miliana qui enseignait aux étudiants et aux disciples comme l’avait fait Sidi Rabah avant lui pour les élèves qui venaient des quatre points cardinaux de cette terre… »
Il se tait un moment, sondant de ses yeux l’ombre des temps puis répond : « Peut être cela fait-il quatre siècles ».
Peut être…
Quant au surnom du saint homme nommé abu qobrin (Sidi Rabah aux deux tombes), il regarde vers le nord, à l’infini des plaines céréalières qui s’étendent à plusieurs dizaines de mètres sous nos pieds, sous nos yeux et, le sourire généreux sous sa fine moustache, il explique : « C’est qu’il a un autre tombeau, à Thlatha Matmata, a à peu prés quarante kilomètres tout droit d’ici, là bas (il tend le bras et le doigt) où l’un de ses disciples avait voulu aussi l’enterrer… »
Il n’en dit pas plus.
Il a peut être tout dit. Les questions, toutes questions, peuvent elles vraiment éclairer le mystère de la voie ?..
L’essentiel n’est-il pas que le tombeau de Sidi Rabah soit bien ici, dans cette qouba qui nous fait face, impeccablement illuminée jour après jour, saisons après saisons par la rotation des astres et l’air pur?



Après avoir fait le tour du tombeau, je me suis assis par terre, jambes croisées, face à mon hôte et commencé à lui raconter quelques bribes de souvenirs d’enfance quand, avec ma grand-mère, nous allions en visite,  par trolleybus et à pied, d’un saint d’Alger à un autre, de sidi Abderrahmane et Sidi Mansour à Sidi Yahya, de sidi M’hamed à Notre dame d’Afrique, et avec des rubans étroits de couleur qu’elle portait avec elle pour la ziara ma grand mère d’en nouer toujours un à la plus haute branche possible d’un figuier dans l’espace du mausolée…


Puis, un souvenir en entrainant un autre, nous nous sommes mis je ne sais par quel tour d’images à parler café, torréfaction et café moulu à domicile, -oh juste le contenu d’une assiette, à l’ancienne-, avec cet indicible arome le matin… Je lui raconte que dans la vieille maison de mon grand père à Belcourt, aujourd’hui disparue,  l’air était chaque jour saturé de l’odeur du café à cause d’une usine Nizière implantée au centre du quartier, sauf le samedi et dimanche… A cette évocation, lui se rappelle qu’il y a quelques dizaines d’années quand on faisait parfois du café (un produit de riches, un produit de luxe) dans la ferme tout en bas de la plaine, son arome montait, montait pour arriver  jusqu’à lui en haut du piton rocheux qui le savourait…
On parla aussi de la Syrie, de la Palestine, de ce que fut l’Algérie plus d’un siècle durant…  On parla surtout de la vie en général , du peu que représentent nos vies en ce monde, de la nécessité d’être simple comme d’être prêts à des changements inéluctables qui interviennent souvent avant même qu’on ne les pressente…

Devant la tombe de sa mère, Chaalal Khadidja



Départ
Je devais reprendre la route, encore longue à travers plaines et montagnes avant d’atteindre les banlieues de la capitale… Je m’apercevrais bien après en atteignant l’autoroute-est-ouest que durant ces longs moments amicaux d’entretien où nous avions brassés tant de choses de l’univers nous n’avions en fait jamais évoqué la mer, même pas de nom…
Nous redescendîmes les escaliers de la petite allée cimentée, bien ombrée, laissant derrière nous une part de mystère à la clarté du mystère..  Arrivés à quelques mètres de la voiture je lui demandais de poser pour une photo devant l’immensité des plaines sous nos yeux. Ce qu’il fit de bonne grâce.



Loin en bas dans la plaine, il m’indiqua la petite ville de Sidi Hosni, qui avait porté un autre nom de saint mais à qui l’on donna le nom d’un combattant de la guerre de libération nationale en hommage posthume.
Et pas l’infime trace d’un klaxon, d’un bruit lointain de train, d’un avion perdu dans la stratosphère ou même d’un oiseau. Seule la caresse du vent au dessus du vide sidéral des plaines qui ondulent loin jusqu’au pied des montagnes qui s’estompent dans la brume éclatante d’août…

Ma visite aurait pu s’achever là. C’était compter sans la générosité subtile et insistante de mon hôte. Il m’invita d’abord à prendre pour la route un morceau de galette qu’il alla chercher à l’intérieur de la maison dont il laissa la porte d’entrée grande ouverte… J’avais à peine mis le moteur en marche qu’il m’appela et le vis, à l’intérieur de la pièce, mettre au coin de l’entrée un fauteuil de plastique blanc. Il insista… Une fois là j’appris que j’étais l’hôte de la maison pour un  simple couscous que sa belle fille préparait… Et ses petits enfants, filles et garçon, sortirent m’embrasser et me souhaiter en riant la bienvenue…

La pièce, simple, avait deux fenêtres aux volets clos. Des matelas recouverts d’un tissu de velours vert étaient posés le long du mur à même le sol sur un tapis sobre tressé…
Au mur, une grande carte ocre et rouge des conquêtes du temps du Prophète lui-même… Derrière moi, le grand cadre des 99 noms d’Allah…

Et là sous les 99 noms du Maître des Univers, l’hôte dressa le couvert sur une table basse en bois qu’il rapprocha de mon siège. Le plateau arriva enfin de la cuisine certainement où j’entendais les enfants rire et chuchoter avec leur mère.  Je ne pris pas de photo de la table servie et n’y pensais pas... Le repas que nous partagions se constituait en fait d’un petit plat de couscous accompagné de lait caillé, de petites tranches de pastèque et grappes de raisin noir.
Succulent.
Que dire de plus ?




Texte et photos :
Abderrahmane Djelfaoui




5 commentaires:

  1. Beaucoup de cœur et d'émotion.
    Sainte humilité vertu qui n'a pas été créé par l'homme mais par Allah.

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  2. Chapeau bas à cette volonté et motivation pour la satisfaction de l'esprit sans oublier la générosité du partage que notre ami Abderrahmane Djelfaoui nous apportes pour la bonne cause culturelle , oui... (Un militantisme s'impose de nos jours pour)...Bonne continuation et mille mercis pour ces précieuses découvertes que tu partages avec nous .

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  3. c'etait un veritable regal.des photos magnifiques d'une region que je decouvre grace a toi mon cher ami. TU merites une tonne de begnets accompagnés d'une citerne de the a la menthe...
    Mohamed Ould Mammar

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  4. merci pour cet véritable voyage de partage

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  5. Merci Abderahmane pour ce voyage ici bas ici chez nous. le visage de cet homme illumine le paysage de beauté et d'humilité. Merci pour le partage.

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