mardi 10 janvier 2017

« Algérie », a été peint par Issiakhem en France en 1960 à l’âge de 30 ans….

« Algérie » (photo Abderrahmane Djelfaoui)

Dimanche 8 janvier 2017, à 16 heures 30, dans une salle haute au Musée Public National des Beaux Arts d’Alger, a lieu la cérémonie de remise officielle de l’œuvre de M’Hamed Issiakhem (« Algérie », sous verre) rapatriée de France.
L’assistance composée d’hommes et de femmes de culture s’étonne, murmure, émet nombre de remarques de détails (tant ce tableau semble inconnu) quand quelques uns se demandent sur quel support a été réalisée cette peinture et si c’est un « un collage ? »…
Les journalistes eux écrivent et photographient avec leurs smartphones ; les équipent télé  filment…
Au premier rang des invités : M.Azzedine Mihoubi, Ministre de la culture ; mesdames Chantal Janson-Jabeur et Anissa Bouayed, respectivement Présidente et Vice Présidente de l’association « Art et mémoire au Maghreb », venues de France avec le tableau de la donation Jacques Arnault ;  également Benamar Mediene l’ami et historiographe de M’hamed Issiakhem et de Kateb Yacine ainsi que Madame Dalila Orfali la Directrice du Musée.


UNE TOILE ET DES MARQUEURS DE L’HISTOIRE…..

« à Jacques Arnault », signé par M. Issiakhem (photo Abderrahmane Djelfaoui)

En 1960, Jacques Arnault et M’Hamed Issiakhem ont pratiquement le même âge, 32 ans, lorsqu’ils se rencontrent à Paris et se lient d’amitié.
« J’ai connu M’hamed Issiakhem (témoignait Jacques Arnault Le 19 mars 2007) en France, quand il était dessinateur. Ce tableau représente une femme et ses deux enfants. Le père n’est pas présent parce qu’il est parti en guerre, le peintre le peint d’une main, parce qu’il a perdu son bras à l’âge de 15 ans dans l’explosion d’une grenade… Il y a un morceau de journal sur le coté, où il y a écrit un article sur la guerre d’Algérie… » A  signaler justement qu’à cette période le père et le frère de M’hamed Issiakhem sont combattants au maquis.

En pleine guerre d’Algérie Jacques Arnault, qui avait subi les affres des camps de concentration nazis et  était militant politique du PC  publiait aux « Editions sociales » en 1958 un livre politique fort intitulé « Le procès du colonialisme » ;  un livre que possédait feu mon père et qui allait passer de sa bibliothèque à la mienne….
Le tableau exposé au Musée Public National des Beau Arts

Madame Anissa Bouayad, Vice présidente de l’association « Art et mémoire au Maghreb », sise à Ivry sur Seine, qui accompagne le tableau de Paris à Alger, souligne et commente  l’essence du tableau « Algérie ».
Madame Anissa Bouayad lors de son intervention
au nom de « Art et mémoire au Maghreb »
(photo Abderrahmane Djelfaoui)

« Par des moyens esthétiques, dit-elle,  qui allient solide composition classique et matériaux contemporains vulnérables comme les coupures de journaux, l’artiste nous fait ressentir par ses tensions extrêmes qu’au-delà de la souffrance indicible se manifeste la volonté de résistance de tout un peuple incarné ici dans cette femme et dans son enfant qu’elle protège de sa main. […] Seuls quelques signes incrustés servent de marqueurs et de datation. Un article sur le Manifeste des 121 (octobre 1960), le mot ‘mourir’, le titre ‘l’humanité’ détourné ici, pour signifier au-delà du titre ce qui est en jeu.
« Autre marqueur, qui est plus qu’un détail, au centre géométrique du tableau, ce petit galon de tissu collé reprend les couleurs du drapeau algérien, sans emphase, sans insistance mais il est là, pour être vu à cette place centrale »

« LA GRACE DU DON » 


Revenant enfin sur l’acte du donateur, elle commente que « ‘La grâce du don’ signifiait pour Jacques Arnault, vouloir sortir de l’échange marchand agressif et inégal qui fonde notre système socio économique actuel et son cortège d’injustices dans tous les domaines y compris la culture ! […] Car il trouve plus juste que d’autres, plus nombreux et plus concernés, profitent à leur tour de l’objet aimé dont il se sépare».
Madame Bouayad poursuit et précise que Jacques Arnault, au moment de sa rencontre avec Issiakhem, est rédacteur en chef de la revue « La nouvelle critique » et qu’il « prépara un numéro spécial sur la culture algérienne  en pleine guerre coloniale. Le numéro sorti en 1960 avec un brillant aperçu des lettres algériennes, de Kateb Yacine à Assia Djebar. Pour les arts plastiques c’est Issiakhem lui-même qui contribua à ce numéro. C’est en le préparant que les relations entre les deux hommes s’approfondirent. C’est dans cet élan créateur qu’Issiahkem offrit l’œuvre ‘Algérie’ à son ami Jacques Arnault ».


J’apprendrais d’ailleurs moi-même un peu plus tard de Djaafar Inal (ami d’Issiakhem et collectionneur de son œuvre) que Jacques Arnault était venu en Algérie juste après l’indépendance y enseigner la philosophie dans la banlieue d’Alger ; « il en profitait, dit-il, pour passer de temps à autre saluer l’équipe d’Alger républicain et donner un coup de main »…. 


 Dessin de M’hamed Issiakhem pour la Une de Alger républicain du 19 mars 1963



Benamar Mediene, professeur des universités, essayiste,
ami et biographe du peintre M’hamed Issiakhem,
expliquant dans une courte intervention lors de cette cérémonie
ce que fut l’audace de l’artiste à chaque étape de sa vie
depuis ses premiers dessins d’enfants à l’école primaire,
sa première exposition dans l’Algérie coloniale avec un autoportrait,
ses brillantes études en France
et la manière dont il s’imbiba de façon créatrice
des leçons esthétiques de maitres espagnols tels le Gréco et Goya….



M’hamed Issiakhem



M. Azzedine Mihoubi, Ministre de la culture lors de son discours de clôture
de cette cérémonie officielle de remise de l’œuvre de M’hamed Issiakhem.
Remerciements au donateur et à l’association « Art et mémoire au Maghreb » ;
reprise de l’itinéraire de l’artiste pour souligner son profond apport
à la culture artistique moderne en Algérie ;
annonce d’ouverture prochaine, après celle récente du Mamo d’Oran,
de nouveaux musées et salles d’exposition
aux artistes à travers le territoire national 
mais également la préoccupation des pouvoirs publics
à s’atteler à la mise en place d’un véritable marché de l’art dans le pays.



Abderrahmane Djelfaoui

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