jeudi 30 juin 2016

FERAOUN: un poème, le voyage en Grèce, son engagement

Le 15 mars 1962, quatre jours avant la proclamation du cessez-le-feu, Mouloud Feraoun avec cinq de ses collègues Ali  Hammoutène, Marcel Basset, Salah Ould Aoudia, Max Marchand et Robert Eymard sont assassinés par un commando  de l’OAS dans les locaux des Centres Sociaux éducatifs de Ben Aknoun. Le lendemain on récupérera 109 douilles de 9 mm sur les lieux de ce carnage…

Un an après, Le 14 mars 1963, « Les Lettres Françaises », grand  journal que dirigeait et animait Louis Aragon (membre du comité central du PCF), publiait un conte inédit ainsi qu’un très rare poème de Mouloud Feraoun écrit peut être au début de l’année 1960.



Etrange poème que « Voilà que se prennent les mains ». Tragique par son rythme et par ce qu’il signifie « indirectement », presque a demi-mot, d’impossible entente…  Un poème rare, puisqu’on ne connait de Mouloud Feraoun que deux poèmes seulement. Celui-ci et un autre, plus court, écrit à son retour de Delphes, en Grèce, après un séjour de formation pédagogique en groupe…
Ayant demandé à son fils Ali si son père aurait laissé d’autres manuscrits de poèmes, Ali fut clair et net en me répondant il y a plus d’un an qu’on ne connaissait dans toute l’œuvre de son père (quatre romans, deux livres de chroniques, un essai de traduction poétique, un ouvrage de correspondances et des contributions dans plusieurs revues) que ces deux seuls poèmes écrits et signés de lui. Mais comment en être absolument surs au vu du travail poétique à l’œuvre dans les 23 vers ci-dessus et qui rappelle les rythmes et chants de certains grands poètes français du 19ème siècle? Deux poèmes donc qui avaient été transmis aux « Lettres françaises » par les soins de l’écrivain Emmanuel  Roblès qui connaissait très bien l’auteur et sa famille.…

« Le voyage en Grèce »

Au moment où s’ouvre la Conférence d’Evian, Mouloud Feraoun va voyager en Sardaigne puis en Grèce entre mai et juin 1961 dans le cadre d’un groupe des Centres Socio éducatifs fondés sur une idée de Germaine Tillon et où il a été nommé inspecteur depuis une année ; pratiquement depuis l’explosion de la première bombe atomique française au Sahara…. Ce voyage a du l’aérer, pour un laps de temps, vu la terrible atmosphère de peur, de confusion et de violence au sein de la population française d’Algérie qui sentait que la partie était perdue pour elle… Une période où Feraoun se sent surveillé, épié, mis en ligne de mire. Il sort peu, travaille beaucoup mais pressent que le pire est à venir… C’est donc dans ce contexte délétère et pourri qu’il s’envole pour « Le voyage en Grèce » …
Dés l’approche en avion des iles grecques, il écrit:
« La Grèce nous apparut sous un ciel clair, comme nous l’avions toujours imaginé [Nous : l’instituteur de Tizi Hibel…] : des montagnes grises couvertes de maquis, des rochers nus, des falaises, des iles, des cotes profondément échancrées et cette mer bleue qui pénètre partout : les Iles Ioniennes, le Péloponnèse, le golfe de Corinthe, les Cyclades au loin (…) et les maisons du Pirée, ont la blancheur des villes sans fumée (comme dans…) les contreforts désolés qui barrent certains horizons du sud algérien »…


Mais ce sera surtout à Janina (Ioannina) prés de la frontière Albanaise, que les « retrouvailles » avec la terre natale seront les plus marquantes pour Feraoun. « Il fallut tout de suite deviner que Janina signifiait jardinet, diminutif de « jenan » qui est « le jardin », en arabe, en turc, en kabyle »… Et de s’écrier presque en faisant le parallèle entre ce qu’il reste d’une des plus brillantes civilisations d’Europe et sa terre d’Afrique sous la férule guerrière de l’armée coloniale française :
« Mais voyez ces villages perchés sur les crêtes ou s’étalant à flanc de coteau, on serait tenté de les appeler Taguemount, Agouni ou Taourirt. Les terres alentour y sont soigneusement travaillées, les lopins bien délimités, les ressources scrupuleusement recensées. J’ai vu, dans ces villages pauvres, des gosses couleur de brique courir pied nus derrière leurs chèvres, des femmes portant le bidon d’eau sur la tête, des vieilles juchées sur le bourriquot tenant devant elles le sac bourré d’herbe ou le fagot de bois sec. J’ai vu de minuscules maisons de pierre tout à fait semblables aux nôtres, dans un village sans électricité et sans eau où la place publique figurait assez bien la djema et je me suis assis sur une dalle pour écouter M. le Maire nous faire part de quelque projet mirifique qui allait apporter le progrès dont rêvent tous les montagnards et qui n’arrive jamais à eux »…
Projet mirifique de la colonisation ! Bien évidemment. Comment, à ce moment étouffé de l’histoire, dire mieux que ces bouts de phrases, d’un français littérairement lisse, qui réussissent à passer avec simplicité et intelligence les mailles de la censure d’une guerre que ses responsables obnubilés nommaient eux les « évènements d’Algérie » tout en orchestrant des défilés de voitures et klaxons pour l’« Al-gé-rie fran-çaise »?...
Mouloud Feraoun n’annonçait-il pas la couleur, quelques paragraphes plus haut en explicitant son objectif ? Il écrivait : « Il me fallait retrouver ici [en Grèce, en Orient] à tout prix ma Kabylie natale, ses villages accrochés aux sommets, ses rudes montagnards, ses ânes intrépides, ses chèvres capricieuses, ses oliviers et ses figuiers », que la guerre avait profondément défigurés…
Moins de deux mois après ce bref voyage, 121 intellectuels, écrivains et artistes  représentant l’élite de la France et dont Feraoun, pour l’essentiel, connait bien les travaux, signent un manifeste qui est un appel à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Parmi eux : Maurice Blanchot, André Breton, Marguerite Duras, Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jérôme Lindon des Editions de Minuit, Pierre Boulez, André Mandouze, Arthur Adamov….

Avec Ali Feraoun et sa fille, plus d’un  demi siècle après la disparition de Mouloud Feraoun,  sur la terrasse de la maison familiale à Tizi Hibel ; village que l’on voit poindre du brouillard à l’arrière plan.


vue générale du village (années 70) avec le tombeau de Mouloud Feraoun au premier plan

« Mouloud Feraoun, un écrivain engagé ».

C’est le titre d’un ouvrage de prés de 400 pages qui vient enfin de paraitre aux Editions Casbah, après avoir connu une première édition en 2013 chez ACTES SUD. L’auteur, José Lenzini, natif de Sétif, est bien connu pour de précédentes biographies sur « Aurélie Picard, Princesse tidjani », sur Barberousse, Camus, etc.
Ali Feraoun, fils de l’écrivain, explicite clairement dans la préface le pourquoi, le comment et  difficultés de ce livre. A lire donc soigneusement cet écrit d’un témoin de premier plan, aujourd’hui Président de la Fondation Mouloud Feraoun pour la culture.
Les trois derniers chapitres de cet  essai vivant et fort bien documenté concerne l’essentiel du propos de notre article mais en l’intégrant mieux que nous dans les vents complexes et terribles de l’époque, presque jour pour jour.
Qu’on en juge seulement par les dix premières lignes qui ouvrent le récit de vie.
« -C’est une fille ou un garçon ?
« L’employé attend, porte-plume suspendu au-dessus du grand registre. Il regarde Arezki.
« -C’est un garçon. Il s’appelle Mouloud. Mouloud Aît Chaabane des Aït Mahmoud.
« -Ca n’existe plus ce nom… Tu le sais bien ! Le nom des Français c’est Feraoun ! C’est comme ça qu’ils ont baptisé ta famille.
« -Mais notre nom véritable c’est…
« L’employé fait glisser son porte-plume sous la chéchia. .. »
Tout (ou presque) est apparemment dit du « destin » du futur écrivain au jour même de son inscription à l’état civil où le nom des siens lui est refusé… Comment alors toute sa vie ne pas vouloir sortir de l’oppression et de la misère ? Comment ne pas faire œuvre de résistance ? Ne pas agir, écrire, enseigner et faire œuvre de lutte pour ouvrir la vie à un autre monde ? A plus de justice.  Plus de lumière. Plus d’humanité et de vérité….

La couverture du livre avec un portrait de l’écrivain réalisé par le peintre Denis Martinez





Abderrahmane Djelfaoui

mardi 21 juin 2016

Tragédies d’Amour, Résistance et Poésie

Le hasard des temps, des rencontres et des programmations de ce ramadhan a fait que deux soirées culturelles successives organisées par l’ADPE d’Alger (Association pour le développement et la promotion de l’entreprise) ont eu pour thème l’Amour impossible, l’Amour vécu dans l’adversité, le feu et le sang... Deux soirées où  deux figures féminines vives de notre patrimoine immatériel ont été évoquées avec tendresse et ferveur. Anna Gréki, d’abord   poétesse du 20ème siècle. Hiziya ensuite devenu le poème populaire et légendaire que l’on sait d’une héroïne 19 ème siècle qui a donné lieu à des chants interprétés par les voix remarquables des Ould Abdel Hamid Ababssa, Klifi Ahmed, Rabah Driassa ou Rédha Doumaz….


Croisement de circonstances et lieux de plénitude.

Si Hiziya est connue pour avoir  passionnément aimée et être décédée à l’âge 23 ans sur le versant sud de l’Atlas saharien, dans la région de l’oued Djedi, à environ à une centaine de kilomètres au sud est de Biskra, sait-on que Anna Gréki passa moins d’un siècle plus tard le meilleur de son enfance à Menaa,  à moins de 100 kms au nord est dans le massif de l’Aures ?...

 Et est-ce que l’on se rend compte du lien géographique de proximité qui lie ces deux lieux légendaires, mythiques entre eux ?  Bien que Sidi Khaled se trouve dans la steppe et Menaa en rude montagne, il y a moins de 100km entre eux à vol d’oiseau … Sidi Khaled, comme son nom l’indique est une ville de pèlerinage où, dit-on, est enterré le prophète Sidi Khaled Ibn Sinan el Absi (de la célèbre tribu de Abs d'où le poète esclave Antar ibn Shaddad était issu) …. Menaa quant à elle, une bourgade où l’administration coloniale construisit  une petite école élémentaire en 1915 à l’intérieur de la zaouïa des Beni Abbas datant du XVIIè siècle, -à moins de 30 mètres de sa mosquée Moul essbil fondée sur des ruines romaines ...

Mausolée de Sidi Khaled (wilaya de Biskra)

Menaa telle q’a du la vivre Anna Gréki enfant dans les années 30 (avant la deuxième guerre mondiale)


Enfant, Anna Gréki a certainement  assistée à des fêtes au son de la ghaïta et du def où des poétesses locales ou venues de plus loin élevaient des chants héroïques ou funèbres sur les nobles faits des rebelles et bandits d’honneur tel celui sur Messaoud Ben Zelmat.

« Sur les monts du Zellatou
« Mon bien aimé / Tient ses ennemis à genoux […]   
« Mon bien aimé /Messaoud Ben Zelmat […]
« De jour comme de nuit / Tout le pays est à lui
« Du Mellagou à l’Ahmar Khaddou
« Il est le lion dans son domaine […]
C’est ainsi qu’il est / Et que je l’aime […] »

Des chants forts qui sont la résistance et préparent à la résistance ; des chants qui marquent à vie…
Ces points de croisement étant signalés, se rend-t-on compte enfin de la jeunesse inouïe des deux héroïnes ? Anna Gréki décédée à l’âge 35 ans, Hiziya à 23 ?...


ANNA GREKI/ SID AHMED INAL


Dans mon exposé au siège de l’ADPE sur Anna Gréki, je soulignais que : « Pour comprendre la fougue et la droiture de cette jeune femme qui subjugua tant d’esprits et de cœurs, née à Batna en 1931 il faut savoir qu’elle décrocha son bac à Skikda (ex Philippeville) à seize ans une année après mai 45 ... Et surtout qu’à vingt deux ans, étudiante en Lettres modernes,  elle est follement amoureuse en Sorbonne d’un brillant étudiant en Histoire, Ahmed Inal, natif du vieux Tlemcen, qui mourra officier de l’ALN et secrétaire du commandement de la zone 5 au maquis de cette même région en octobre 1956, à l’âge de vingt cinq ans …  Cinq mois après la disparition dans des circonstances affreuses de son aimé, Ahmed Inal, Anna Gréki sera elle aussi suppliciée par les paras à la villa Susini puis incarcérée à Serkadji où elle écrira l’essentiel de son recueil « Algérie Capitale Alger »


Dans ce recueil cinq longs poèmes d’Anna sont consacrés à Ahmed Inal. Dans l’un d’eux, « A cause de la couleur du ciel », elle écrit :

« Pour Ahmed Inal

« Arrogant tel un très jeune homme
 Il ressemble à la liberté
Il ressemble tellement à la liberté
Ce ciel tendre plus qu’un oiseau ce ciel adulte
Que j’en ai la gorge serrée –ciel de vingt ans
Qui veut aller nu triomphant comme une insulte »…

Et dans un autre poème de cette série, « Avant ton éveil », elle poursuit du fond de sa sinistre cellule :

«« […] Vivant plus que vivant
Tu es l’eau pure où je me baigne
Dans la Ville des Sources
Que je ne connais pas
Et je cherche à jamais tes lèvres
Baiser secret et son pistil

« Vivant plus que vivant
Avec ton corps qui brille
Aux quatre cris de la douleur
Eparpillé déchiqueté torturé 
Saignant sur la terre orange
Où nous sommes nés »

Sid Ahmed Inal au maquis (photo Djaffar Inal)



HIZIYA / SIYED AU MILIEU 19ème SIECLE


Hiziya, Hiziya, Hiziya… Que de rêves et légendes à son propos… Sur sa belle et douloureuse aventure d’amour, l’anthropologue et musicien Nourredine Saoudi a fait une intervention à la fois riche, précise et d’une grande délicatesse. Il situera d’abord la naissance de Hiziya dans le cadre de la famille dominante des Bouakkaz, de la puissante tribu des Dhouaouda qui dominent cette région agropastorale de Sidi Khaled.
Née approximativement en 1852, c'est-à-dire au milieu d’un siècle noir pour les Algériens qui sont conquis par le fer et le feu, Hizia bent Ahmed Belbey n’en était pas moins d’une rare beauté au point où les filles la jalousaient et l’enviaient, et les hommes succombaient à son charme, désirant l’épouser, en voulant surenchérir sur la dot.




Mais le cœur de Hiziya était pris, elle était amoureuse de son cousin Saïyed, orphelin recueilli dès son enfance par son oncle, puissant notable de la tribu et père de Hiziya. Sayed était d’ailleurs un prestigieux cavalier qui avait tout pour plaire. Fille de grande famille Hiziya est : « louange et chanson … »
"Lorsqu'elle marchait, droit devant elle, [..] elle était admirée de tous."
La force d’amour de cette jeune femme est telle qu’il est dit que son œil est « une balle meurtrière dans une cartouche de cuivre syrien semblable à celle qui détermine la qualité du guerrier »…
Et le poète de développer une description physique sensuelle l’amante :

« Elle a la denture d’ivoire et la bouche enjôleuse.
« Sa salive est comparable au lait de brebis qui en devient miel du désir »…
« Que de noces avons-nous connu, où son cheval, Al Azreg, caracolait comme un possédé dans les champs moissonnés »…
Ainsi la fusion est totale et le poème ne craint pas de décrire l’intime :

« Biyadi dart el wucham fi sdar  um haram… « : « De ma main j’ai marqué en son sein le plus pur tatouage indélébile inscrit sur l’épaule de la belle »

Hizia et Saïyed vivent une passion enflammée et troublante. Ils se marièrent et un mois après leur union, la jeune femme décède à Oued Tell, vers 1878 à une cinquantaine de kilomètres de Sidi Khaled, d’un mal inconnu, alors qu’elle revenait avec sa tribu d’un séjour saisonnier dans le Nord.
Elle avait 23 ans…
Tout, puis le né           ant… Saïyed inconsolable. Meurtri par la douleur, d’autant plus qu’il perdra aussi son cheval, il va errer seul des jours et des jours avant d’aller retrouver vers la fin de l’année 1878 le grand poète Mohamed Ben Guitoun afin qu’il écrive un poème à la mémoire de sa bien-aimée.
Le maître du melhoun écoute attentivement l’histoire de Saiyed. Ben Guittoun, lui-même de cette fascinante région de Sidi Khaled, va l’immortaliser dans un grand poème devenu une des plus belles histoires d’amour que va populariser la tradition orale d’est en ouest et du sud au nord :

«Offrez-moi votre compassion oh belles gens pour la reine des femmes.
Le tombeau est sa demeure.
Et un feu ardent brûle en moi !
Ma souffrance est extrême.
Mon cœur s'en est allé, avec la svelte Hizia.
Hélas ! Plus jamais je ne jouirai de sa compagnie. »

Saïyed s’exilera loin de sa tribu, solitaire et malheureux dans l’immensité du désert jusqu'à sa mort.

Les tombes de Hiziya et de sa mère… à Sidi Khaled

Voilà donc au moins deux grandes figures de notre patrimoine qui attendent que des romanciers modernes, des essayistes, des cinéastes, des dramaturges, des conteurs, des dessinateurs de BD talentueux,  etc, etc, leur donnent une vie nouvelle auprès des millions et millions de jeunes qui les méconnaissent… (ce qui n’est pas vraiment une toute autre histoire….)

Abderrahmane Djelfaoui


vendredi 17 juin 2016

Quand un génie érige une science des sociétés à la kala’at Beni Salama de Frenda

La statue de Abderrahmane Ibn Khaldoun érigée en plein centre de Tunis


Au quatorzième siècle, La Kala’at Beni Salama, dans l’actuelle wilaya de Tiaret,  fut le refuge du grand maître et érudit  Abderrahmane Ibn Khaldoun. La première question qui vient à l’esprit est  pourquoi  cet historien, philosophe, diplomate et homme politique ifriqiyen de renom, né à Tunis en 1332 et issu d'une famille andalouse d'origine arabe dont les aïeux s’étaient illustrés dans de hautes fonctions à Séville, se rendait-il si loin de Tlemcen  où il était enseignant pour, au-delà du massif de l’Ouarsenis, aller  vers Frenda et ses hauts plateaux à vocation agro-pastorale?..

Entrée de la grotte d’Ibn Khaldoun sous la Kala’at Beni Salam à droite (photo Abderrahmane Djelfaoui)


Un refuge historique

« Parce qu’Ibn Khaldoun en tant qu’intellectuel avait des problèmes avec les sultans du Maroc, de Tlemcen et Pierre le cruel d’Espagne », nous répond   Mahmoudi Amar, enseignant  de linguistique à l’université de Tiaret  qui s’est fait notre guide. Il poursuit : « L’intellectuel Ibn Khaldoun les gênait ; on voulait le supprimer. Cela se passait vers 1375. Pour cela on monta un subterfuge en lui demandant d’aller incorporer une armée à Biskra. Sur le chemin il devait être intercepté. Mais en route il pressentit le piège et on l’informa que des brigands devaient le tuer. Arrivé dans la périphérie de Zemmoura, dans la région de Ighil Izane (Relizane), il s’est rappelé qu’il avait un ami à Kala’at Beni Salama, Abu Bakr Ben ‘Rif fils de Salama. Il l’a contacté et a ainsi rejoint dans cette bourgade qui fut refondée sur un vieux site romain par les Banu Hilal au XIème siècle.. On lui offrit un palais dans la région mais n’en voulut pas ; il préféra se refugier dans une grotte pour passer inaperçu. Dans cette grotte spacieuse située juste en dessous de la Kala’a, il écrivit un livre extraordinaire « Les prolégomènes » ou la « Mukaddima » sur une durée de plus quatre ans. Un livre pour lequel on lui avait alors injustement reproché de s’être inspiré du grand philosophe grec Aristote quant à l’influence climatologique sur l’attitude des populations et leurs actions»…

Intérieur de la grotte sous les escaliers d’entrée  (Photo Abderrahmane Djelfaoui)



Paroles d’Ibn Khaldoun lui-même

Dans son autobiographie (Le Voyage d’Occident et d’Orient) dont la dernière version est écrite peu avant sa mort le 19 mars 1406 au Caire, Ibn Khaldun relate les conditions de son séjour à la Kala’at Beni Salama.
« Ayant de nouveau besoin du concours des Dawâwida [tribus arabes du Maghreb central], le sultan Abû Hammû [Musa Ibn Yusuf, sultan abdelwadide de Tlemcen, 1352/1386] m’appela à la cour et me chargea d’une mission auprès de ces derniers. J’en fus alarmé. Je décidais en moi-même de ne point m’occuper de cette affaire, ayant opté pour le renoncement [à la vie de palais]  et une vie loin du monde ; mais, je fis mine d’accepter, et quittais Tlemcen. Parvenu à al-Bathâ’, je bifurquais à droite, vers Mendès [sud-est de Relizane vers Tiaret], et regagnai les tribus des Awlad ‘Arif, qui résidaient à l’est du mont Guzul. Elles me reçurent à bras ouverts. Après quelques jours, elles firent venir ma famille de Tlemcen, et surent m’excuser auprès du sultan de ne pouvoir m’acquitter de la tâche qu’il m’avait confiée. Je fus installé avec ma famille à la Qala’at Ibn Salama, dans le pays des Banu Tûjin que le sultan avait concédé en iqta’ aux Awlad ‘Arif. J’y résidais pendant quatre ans, délaissant le monde et toutes ses préoccupations. C’est là que je commençai la rédaction de mon ouvrage et que j’en achevais l’Introduction (al-Muqaddima) ; je conçus celle-ci selon un plan original qui me fut inspiré dans la solitude de cette retraite : mon esprit fut pris sous un torrent de mots et d’idées que je laissai décanter et mûrir pour en recueillir toute la moelle «  (p. 141/142)

Emouvant document rédigé de la main même de Ibn Khaldoun à Taghzout, Kala’at Beni Salama.



Mme Mériem Mahmoudi (épouse de notre guide) qui reproduit le facsimilé de ce manuscrit dans son livre (« Quand Qalaat ibn Salama raconte Ibn Khaldoun »)  écrit sur ce document conservé en Espagne, bibliothèque Real de El Escorial : « Son Kalem trempé dans le smaq sillonne soigneusement le parchemin, laissant des traces indélibiles, imprégnées de sciences et chargées d’histoire » (p. 107)

Et telle une séquence de film….

Smail Goumeziane dans son livre « Ibn Khaldoun, un génie maghrébin » (EDIF 2000, 2006, p. 24) imagine ce héros « … à l’étape décisive de sa vie. Enfermé dans sa tour d’ivoire, sans autre véritable documentation que son expérience et sa mémoire. Ibn Khadoun entama l’écriture d’Al Muqaddima, selon un plan qu’il élabora dés le début de sa retraite, et plus largement la première version du Kitab El Ibar, son Histoire universelle. Parfois, lorsqu’il s’accordait des pauses, il lui arrivait probablement de discuter avec son ami, le chef de tribu [Abu Bakr Ben ‘Rif fils de Salama] ». Et donnant la parole à Ibn Khaldoun sur la base de ses propres écrits, celui-ci dit : « Les ignorants qui se targuent d’être historiens se contentent de transmettre des faits bruts, mais c’est à la critique de trier le bon grain de l’ivraie…. Et même lorsqu’ils parlent d’une dynastie particulière, ces ignorants racontent son histoire telle qu’elle leur a été transmise. Ils ne se soucient pas de savoir si elle vraie ou fausse. Ils ne se demandent pas pourquoi telle famille a pu accéder au pouvoir. Ils ne disent pas pourquoi, après avoir brillé pendant quelques générations, telle dynastie finit par s’éteindre. Ils ne clarifient rien, et le lecteur doit par lui-même chercher une explication convaincante à la marche de l’histoire et aux changements du temps »…
Ce que l’on pourrait dire de bon nombre de discours médiatiques d’aujourd’hui, n’est-ce pas ?...

La Muqaddima, en quelques mots

Nous demandons à monsieur Mahmoudi   de nous résumer les grands traits de cette œuvre entièrement  écrite à la Kala’at Beni Salama .
« La « Muqaddima »  est la première œuvre générale et systématique de sociologie connue de l’humanité. C’est Ibn Khaldoun qui invente le terme de «‘assabiya », qui définit le lien parental, génétique entre les tribus dont une des conséquences est que l’opinion n’est pas d’ordre individuel mais celle du groupe, sociale. Il est l’auteur de la phrase célèbre qui sera répétée et reproduite partout bien après lui  à savoir que « Le vaincu imite toujours le vainqueur ». Complexé, humilié, le vaincu s’adapte aux manières de son maître qu’il veut rattraper en le mimant.… »
« Alors que l’Europe baignait dans les ténèbres du moyen-âge, ce maghrébin pensait déjà à la pédagogie en tant que science. Ayant vécu plusieurs années à Séville, sa ville préférée, il fit une étude comparative sur ce qui se passait en Andalousie  et ce qui se passait de façon dogmatique à la même époque en Afrique du Nord en matière d’enseignement et d’apprentissage. A ce propos dit-il : « L’enfant n’est pas un vase à remplir mais un organe à fortifier ». Une belle phrase qui allait être elle aussi largement reprise, tout comme celle, subtile, où il dit : « Trop de mots n’engendrent des maux. Il y a la paille des mots et le grain de la chose ». Ce qu’un Montaigne dira à sa manière mais plus de deux siècles plus tard… Et l’œuvre monumentale d’Ibn Khaldoun découverte en Occident au milieu du XXème siècle à peine….»
Ce qui me rappelle voyageur que je suis, un  morceau de poésie  intitulé « Mort d’Ibn Khaldoun » écrit par Atiq el Waraq et que cite Bachir Hadj Ali dans son recueil « Mémoire clairière » de 1978 :

« Mais voici leur sinistre cortège :
« Ils enterrent « l’aurore » de nuit et
S’en retournent sans « aurore »
Dans l’attente (vaine) du matin »
« Ils », pour le grand poète exprimant sa reconnaissance à Ibn Khaldoun pointe certainement les dignitaires de son époque que la science et le savoir dérangeaient et qu’ils auraient voulu bannir à jamais d’un revers de main…


Abderrahmane Djelfaoui

lundi 13 juin 2016

Daoud Md Saddek (2ème partie). L'artiste évoque sa formation et ses maîtres

Dans le  triangle  géographique restreint de la Casbah qui avait fait son nid sur la colline principale de la ville et qu’on appelait El Djebel, Mohamed Saddek Daoud a eu la chance de réaliser un cursus scolaire entier et riche. Celui ci commencé à la garderie d’enfants du jardin Marengo, se poursuivra à l’école maternelle de la Rampe Vallée (Rampe Louni Arezki). Après le collège à la place Lelièvre (Bab el Oued, à coté de l’hôpital Maillot), il terminera ses études secondaires au lycée Bugeaud (actuel Emir Abdelkader)

Daoud Mohamed Saddek à son domicile (photo Abderrrahmane Djelfaoui)


 … En 1954, à l’invitation de Mostefa Ben debbagh dont il est le jeune et proche voisin en haute de la Casbah il s’inscrit à l’actuelle Ecole des beaux arts qui venait d’ouvrir ses portes du Telemly, au parc Gatlif. Mohamed Sadek venait de quitter le lycée Bugeaud. « Pour moi, plus qu’un don, faire des études d’art était une occupation saine » ; et deux ans durant il est inscrit pour deux matinées par semaine dans la classe de Mostefa Ben debbagh,  le reste des études étant consacré à la décoration. « A cette époque, en plus des cours de Ben debbagh, qui enseignait la Décoration mauresque et la sculpture sur bois, j’ai aussi suivi des cours décoration et de perspective avec  Denis Martinez … En septembre on s’inscrit, la guerre commence en novembre… A cette époque où j’y étais Mohamed Racim enseignait je crois à la villa du Centenaire qui prendra ces dernières années le nom de la Villa du Millénaire, à Bab ejdid, … Les noms des autres enseignants ont malheureusement disparu de ma mémoire ».

Le cahier de classe sauvegardé :

C’est un petit cahier de dessin à grands carreaux recouvert avec le dépliant publicitaire d’époque de la maison française Thiriez et Cartier-Bresson qui faisait la distribution du fil à broder à Alger. 

La couverture du cahier d’études conservé par Daoud (photo Abderrahmane Djelfaoui)


L’élève Mohamed Sadek Daoud, assidu et appliqué, y reproduisait  les dessins que le maitre traçait au tableau de la classe de l’Ecole des beaux arts. Finement et de manière précise. « Et durant les vacances, ces dessins étaient pour moi des références et des modèles, pour continuer à dessiner ».

Le cahier de dessin de l’année scolaire 1954 – 1955 .
On voit sur la page de droite la signature de Mostefa Ben debbagh , dédicacée,
avec cette phrase : « A mon élève Mr Daoud Mohamed »
(photo Abderrahmane Djelfaoui)

Un des motifs floraux enseigné par le maitre Ben debbagh
Et reproduit par Daoud dans son cahier de l’année 1954-55

Attestation de Premier Prix de l’année 1954-55 attribuée à Daoud


A propos de Mohamed Temmam, Né en 1915 à la Casbah, ami des peintres Ali Ali-Khodja, Mohamed Louail, M'Hamed Issiakhem et de l'écrivain Kateb Yacine, miniaturiste, peintre et violoniste et après l’indépendance Conservateur du Musée des antiquités et des arts islamiques (de 1963  à 1988) Daoud se rappelle une anecdote significative.
« Un jour, durant les années 90, avec ma femme nous sommes allés visiter le Musée des Antiquités. A la sortie on rencontre Si Temmam. On se salue, poignée de mains et échange de sincères formules de civilité. Et de me dire « Tenfa3kom ezziara » ; une sacralisation de l’art comme si l’on venait de visiter un saint marabout. C’était magnifique ! Et c’était dit dans le sens : vous avez passé un bon moment… »

Mohamed Temmam, autoportrait


Et l’enseignement de Mostefa Bendebagh?...

Comme le souligne l’un des écrits du catalogue « Hommage à Mostefa Ben debbagh. Le maitre et ses discipiles » (2016), sous la signature de Samir Dendene : « [Mostefa Ben debbagh] succéda en 1943 à Mohamed Kechkoul comme enseignant de décoration et d’arts appliqués à l’Ecole des Beaux Arts d’Alger qu’il ne quittera qu’à l’âge de la retraite en 1982 ». Malgré cette longue durée dans l’institution académique, l’enseignement des arts traditionnels  ne s’adressait en fait qu’à une portion très réduite d’élèves indigènes.
Il faut à ce propos rappeler que l’essentiel des jeunes qui ambitionnaient de pratiquer un  jour le métier des arts traditionnels devaient d’abord trouver (ou être recommandés ) auprès d’un maitre qui accepte de les prendre comme apprentis dans son atelier à la Casbah même. Il arrivait même que les parents paient le maitre pour que leur enfant soit apprenti… « Les jeunes scolarisés, qui avaient le niveau du certificat d’études ou du brevet, se rappelle Mohamed Sadek Daoud, faisaient durant les vacances, par exemple,  la tournée des artisans, des petites imprimeries ou des garages de mécanique pour être acceptés en tant qu’apprentis, souvent sans être payés, juste pour approcher le métier et , comme on disait,  voler le métier des yeux. Au plus, quand ces jeunes assidus se salissaient beaucoup, comme chez le mécanicien, celui-ci leur donnait le prix du hammam pour aller se laver »…

Et de poursuivre pour ce qui le concerne : « Enfant de la Casbah,  j’avais eu la chance de faire le lycée et après, je me suis inscris à l’école des beaux arts sur avis de Ben debbagh. A l’époque son cours s’appelait Décoration mauresque et Sculpture sur bois… Eh bien figurez vous que j’ai retrouvé mon cahier de dessins de 1954 !...Il est là depuis plus de60 ans… Les cours avec Ben debbagh ont démarré tout doucement. Il ne se pressait pas. Il vous enseignait fleur par fleur, l’une après l’autre. .. Ensuite dans une autre étape il faisait pour nous un schéma ou  un croquis au trait et chacun de nous devait ensuite le peindre le plus finement possible. Nous étions deux élèves dans sa classe à cette époque ; ma camarade s’appelle Djamila Bent Mohamed, une peintre… 3afrita ! Originaire d’Alger, elle habitait le Bonmarché, de grands immeubles en face de la clinique Ait Idir au haut de la Casbah. On les appelait ainsi parce que c’étaient des habitations à loyer bon marché. Des bâtiments bien faits, avec des cours intérieures… Djamila Bent Mohamed a donc étudiée avec moi Décoration mauresque, puis elle a poursuivi ses études en Europe, en Hollande. Elle a voyagé en faisant énormément d’expositions. Allah ibarek, elle a eu un premier prix de la Galerie des quatre colonnes à l’époque où cet espace était géré la municipalité d’Alger, municipalité  devenue  aujourd’hui l’Assemblée nationale… »

Samir Dendene, soulignant la continuité vivante du fonds des arts traditionnels depuis des siècles note dans un article du catalogue d’hommage collectif à Ben debbagh : « Que les représentations soient peintes sur du textile, sur de la céramique ou du mobilier, les animaux qui y sont représentés appartiennent à toutes les espèces. Ils sont dessinés d’une manière très stylisée, mais avec un grand sens de la vie. C’est ainsi que l’on trouve dans les œuvres de Ben debbagh le phénix, l’oiseau du printemps, l’oiseau du bonheur, oiseau de l’aube et le roi des oiseaux. Cet oiseau légendaire, doué de longévité et caractérisé par le pouvoir de renaitre après s’être consommé sous l’effet de sa propre chaleur, symbolisant ainsi les cycles de la mort et de la résurrection »

Croquis signé Ben debbagh (photo Abderrahmane Djelfaoui)


Flash back sur la Casbah d’antan

« Pour ce qui est des artisans de la Casbah qui étaient  très nombreux durant mon enfance, reprend Mohamed Saddek Daoud, le premier souvenir qui me vient à l’esprit est  celui d’un artisan connu qui s’appelait Zoulou, d’origine marocaine, installé à mi hauteur de la Casbah, qui faisait de beaux d’objets traditionnels en cuivre. Je crois que c’est un membre de son atelier qui a prit sa succession et continue encore aujourd’hui… »

L’ancienne échoppe de l’artisan Zoulou, aujourd’hui (photo Abderrahmane Djelfaoui)

« Plus bas, Il y avait des tisserands tout comme des bijoutiers et des orfèvres de bijoux traditionnels. Pour ce qui est de la confection, elle aussi artisanale, les femmes de la Casbah prenaient de l’ouvrage à faire chez elles, à la maison. Les commerçants de tissus de la rue de la Lyre par exemple avaient des femmes qui leur faisaient spécialement de la couture, avec modèle ; ces femmes venaient aux magasins prendre puis rendre la commande, que ce soit des « sraouels », des « bed3iyates » (gilets pour hommes ou corsets pour femmes), des blouses, etc…Au passage, n’oublions pas que malgré leurs occupations domestiques, les travaux incessants à faire, les femmes pratiquaient la bouqala. C’était  d’abord une poterie servant à boire mais aussi et surtout un outil de jeu  qui porte  le même nom. Les femmes, rassemblées, en jouait durant des soirées en attente de bonnes nouvelles par un présage.



« Cela sans parler des artisans de la chaussure, la chaussure à la fois traditionnelle et moderne qui faisait qu’il y avait une grande activité du travail et du commerce du cuir à la Casbah..
« Les ébénistes eux faisaient entre autre des « meida », table ronde et basse autour de laquelle on s’asseyait sur des peaux de mouton à même le sol. Ils réalisaient également des « skamplett » (des tables octogonales), des coffres (« sendouk el 3roussa » avec des dessins d’oiseaux, de coqs et de poissons), des étagères ou des porte-turbans (une petite étagère murale, mise à l’entrée de la pièce sur laquelle le maître du logis mettait son couvre chef « chachia » et prenait sa calotte « arakia » dès son retour chez lui)...

Un coffre peint par Mostefa Ben debbagh


 Un de ces artisans du bois, installé rue Emile Maupats, au dessus du Musée de la calligraphie et de l’enluminure, sur la placette qu’il avait investi, face à Dar eessouf (une maison bien connue) fabriquait des coffres de mariées à la série ! Avec un bois commun, un bois récupéré. Certainement par rapport à la bourse des gens. « Souki », pour le souk, comme on disait… En haut de la rue de la Casbah, il y avait un artisan du bois qui s’appelait Mokhtar si mes souvenirs sont exacts… Le bois était à l’époque soit peint soit ajouré ; on dit « meftouh el dakhel » (ouvert en son intérieur), autrement dit des motifs étaient dessinés et sculptés sur le bois. On dit : ajouré ou « menqouch »…
Comme à l’époque, la famille était nombreuse on trouvait très souvent un berceau en bois dans les maisons. Celui ci était décoré sur ses faces extérieures qui étaient légèrement inclinées ; ce qui permettait à la maman de bercer le bébé tout en poursuivant d’autres occupations.  Ce petit lit pouvait être suspendu à une traverse du plafond ou au plafond lui-même, mais il était la plupart du temps prés du bonk el qoba, le lit principal des parents. A l’intérieur du pays, les femmes nouaient d’ailleurs une cordelette à leur main ou à leur pied avec laquelle elle tiraient le berceau tout en continuant leurs autres travaux domestiques.

« La Casbah grouillait ; partout, il y avait des ateliers et elle était très animée. Au dessus de Djamaa Lihoud, il y avait ce qu’on appelait « Houanet Sidi Abdallah », les boutiques de Sidi Abdallah où il y avait une série de bouchers qui vendaient des tripes et à coté d’eux des petites échoppes de casse-croutes au foie, par exemple, qu’on leur livrait sur place…. »

Retour sur Mostefa Ben debbagh, maitre calligarphe.

Un autre témoignage de valeur est celui d’un de ses élèves plus jeune, d’après l’indépendance,  celui de Mustapha Benkahla, actuel Directeur du Musée Public  National de l’Enluminure, de la Miniature et de la Calligraphie. Il écrivait en préface à un catalogue d’hommage collectif au maitre :
« Il y a maintenant un demi siècle, dans le début des années 64, nous étions ses élèves les plus assidus et les plus fidèles dans son cours qu’il professait à l’école nationale des beaux arts. Comment ne pas être captivé et fasciné quand le maitre enseigne avec la plus grande attention, qu’il vous transmet généreusement son savoir, qu’il vous accorde tout son dévouement en joignant douceur, patience, compréhension. Sur le plan du cœur et du sentiment, nous étions touchés par cet homme modeste et combien affable qui pour nous, venait à pied, une longue distance, de la Casbah où il habitait jusqu’à notre école perchée la haut sur les hauteurs. Nous étions baignés du bonheur d’avoir un enseignant aussi merveilleux ».
L’artiste miniaturiste et décorateur sur bois, ajoute de son coté dans la même catalogue :
« … Un enseignement dans la bonne humeur et dans la rigueur. Que dire de plus de cet artiste qui a donné toutes les lettres de noblesse aux arts appliqués ? »

Toujours à propos de  Mostefa Bendebbagh, Daoud Mohamed Saddek se rappelle qu’au moins pour ce qui est des années 50, chaque année son maître réalisait un tableau qu’il allait offrir à Sidi Abderrahmane. C’était là un lien spirituel très fort et respectueux qui liait l’artiste (tout comme d’autres) au saint patron de la vielle cité d’Alger. Il y avait par ailleurs note-t-il un wali à l’intérieur même de l’Amirauté (Sidi Brahim) du port d’Alger auquel les gens rendaient régulièrement  visite depuis des siècles. Ben debbagh y avait fait ou refait des peintures au plafond. Aujourd’hui ce sanctuaire est fermé au public…

Daoud Mohamed Saddek avec Mostefa Bendebagh dessinant



La vie allant son train, Mohamed Sadek Daoud devint cadre commercial pour gagner sa vie. Il voyagea beaucoup en Algérie « et je revoyais Ami Mostefa à chaque retour… Et quand en 1994 j’ai pris ma retraite, c’est alors que je me suis remis à faire du dessin. Bien que durant toute ma période d’occupation professionnelle je n’ai pas arrêté, en marge, de travailler sur du papier canson. Je pouvais m’arrêter un jour ou plus. Reprendre plus tard, mettre des couleurs, etc.

« A ma retraite je me suis retourné un peu sur le bois. J’avais plus de temps. Je travaillais ici à la maison, parce qu’il me fallait de la place. C’est une activité qu’on ne peut pas entrecouper. Il faut le faire en continu. Le bois ce n’est pas moi qui le découpait ; cela c’est de bons menuisiers à la Casbah ou ailleurs qui le faisait.  J’en avais un très bon à Maison Carrée, qui avait travaillé aux menuiseries de la DNC ANP, qui faisait même de l’ébénisterie, allah yerhmou. .. Et depuis mon temps je le passe à la décoration que ce soit sur bois, sur assiettes et même de la poterie.

« Des derbouka j’en ai fait à foison. Traditionnellement la derbouka est un instrument musical populaire de percussion, presque indispensable dans toutes les demeures de la casbah pour célébrer un événement heureux concernant la famille ou un des voisins de la douira (même maison) ou de la « houma ». Cet objet avait toujours sa place dans un  coin de la pièce.
Malheureusement pour ce qui me concerne, avec le tremblement de terre de 2003 presque tout a été détruit dans la maison que j’habite ici à Ain Taya. J’ai eu beaucoup de dégâts et depuis je ne travaille plus sur la terre cuite. La dernière je l’ai vendue à quelqu’un qui est parti au Maroc… Le bois c’est moins risqué même si ça prend plus de temps. Et le bois d’aujourd’hui est meilleur que celui d’avant qui provenait de planches. Il bougeait. A une table il fallait, avant, ajouter des tenants et des mortaises. Maintenant le bois qu’on a c’est du multiplié, en grande plaque, et il ne bouge pas… »

Derbouka algéroise de Mohamed Daoud 



Tant de choses encore à dire, à rappeler… Peut être une spéciale pour le mot de la fin, puisqu’elle venait de la bouche même de maître Ben debbagh à son élève Daoud. Concernant l’utilisation  de la couleur rouge, il lui dit : « Le rouge en bordure de toute décoration c’est comme la femme qui se fait belle en se mettant du rouge à lèvres » : chgoul el mrâ ki thammar….


Abderrahmane Djelfaoui



vendredi 10 juin 2016

Daoud Mohamed Saddek (1ère partie) . L'artisan en décoration traditionnelle et enluminure se souvient des années de jeunesse à la Casbah d’Alger

C’est à  quelques encablures des belles plages de Ain Taya que je suis allé à la rencontre de Mohamed Saddek Daoud.

Cet artiste-artisan humblement dévoué à l’art traditionnel algérien de l’enluminure et de la peinture sur bois est né à la Casbah d’Alger. Il a aujourd’hui 83 ans. C’est le miniaturiste Ali Kerbouche qui m’en avait le premier parlé et indiqué qu’il fut à la fois le voisin de quartier de Mostefa Bendebagh et l’un de ses premiers élèves. Daoud commença en effet des études d’art au début de la guerre de libération. Prés de vingt ans plus tard, en 1973, il est membre de l’UNAP ainsi que  de l’Union des Artistes Arabes et participe à plusieurs expositions collectives aussi bien en Algérie qu’en Tunisie, au Maroc, au Koweït, en France, en Belgique... En Mars 2012, il obtient le 1er Prix d’encouragement  au Festival International de l’artisanat et de l’Innovation à Mascate, à Oman…

Cet artiste-artisan humblement dévoué à l’art traditionnel algérien de l’enluminure et de la peinture sur bois est né à la Casbah d’Alger. Il a aujourd’hui 83 ans. C’est le miniaturiste Ali Kerbouche qui m’en avait le premier parlé et indiqué qu’il fut à la fois le voisin de quartier de Mostefa Bendebagh et l’un de ses premiers élèves. Daoud commença en effet des études d’art au début de la guerre de libération. Prés de vingt ans plus tard, en 1973, il est membre de l’UNAP ainsi que  de l’Union des Artistes Arabes et participe à plusieurs expositions collectives aussi bien en Algérie qu’en Tunisie, au Maroc, au Koweït, en France, en Belgique... En Mars 2012, il obtient le 1er Prix d’encouragement  au Festival International de l’artisanat et de l’Innovation à Mascate, à Oman…

Daoud Mohamed Saddek à son domicile (photo Abderrrahmane Djelfaoui)

Mais avant d’en venir à sa formation dans les arts traditionnels  ainsi qu’a l’amitié respectueuse qui le liait fortement à Mostefa Bendebagh, à Mohmamed Temmam et à d’autres artistes algérois, nous avons inciter notre hôte à aller vers les lointains souvenirs de sa jeunesse à la Casbah, et cela devant une table bellement servie pour le café… 
Car peut-on comprendre aujourd’hui l’essence d’une vie presque entièrement consacrée à la décoration traditionnelle sur bois (coffres à mariées, coffrets à bijoux, miroirs, berceaux, petites tables, étagères), poteries (derbouka, bokala, qol….) et enluminure sans que l’on ne prenne d’abord en compte ce qu’était la vie publique et domestique de ces objets dans la vieille cité populaire, industrieuse et rayonnante malgré les adversités qu’était la Casbah ?...

Mohamed Saddek Daoud n’a pas l’habitude de se mettre au-devant… Il sourit, serre et tourne une main dans l’autre puis se met peu à peu à parler…. « Je suis né en 1933 à la casbah, pas loin de Sidi Abderrahmane. Mon père avait là une maison. J’ai d’ailleurs été à la garderie d’enfants du jardin Marengo, qui se trouvait sous Sidi Abderrahmane, en 1937-38 avec ma sœur. J’ai fait aussi l’école primaire au haut de la rampe vallée, ainsi que l’école coranique avec ses planchettes à écrire à la rue de la Casbah… »
Et comme s’il retrouvait soudain l’espièglerie enfantine à plusieurs décennies de distance, Mohamed Sadek sourit à l’évocation de laver à l’eau leurs planchettes, hors de la classe et de la vue du cheikh. Les gamins en profitaient alors pour allonger au maximum ce temps de récréation, question d’être loin de toute récitation…
Pour comprendre, il faut effectivement avoir vécu ces moments d’enfance où il fallait aller très tôt matin à l’école coranique avant de se diriger ensuite, à l’heure précise, vers la cour de l’école « française »…

Une école coranique  (photo APS)


 « Puis notre famille est allé habiter une maison au quartier de Sidi Ramdane, en haute Casbah, un peu plus haut que le lieu dit El Koudia . Derrière chez nous, il y avait la fameuse école Brahim Fateh où mon père avait fait ses premières classes. Notre maison était mur à mur avec celle du miniaturiste et enseignant d’arts traditionnels  Mostefa Bendebagh et de sa famille que j’ai bien connu…
Jeune je rencontrais souvent prés la maison de  grandes personnes connues et respectées parmi lesquelles El Ankis ou Momo (Himoud Brahimi) habillé de vêtements traditionnels et son éternel petit couffin à la main… Il y avait un peu plus bas que chez nous la famille d’Ahmed Hocine (qui deviendra le directeur de la Cinémathèque algérienne, mais n’était qu’étudiant au lycée Guillemin alors) et sa jeune sœur Baya Hocine que j’ai connu toute gamine durant la seconde guerre mondiale avant qu’elle ne soit emprisonnée à Serkadji durant la guerre de libération malgré qu’elle soit mineure … »



Chaque maison de la Casbah vivait d’entraide et de solidarité.

« Pour la plupart des casbadjis de cette époque, vivre à la Casbah c’était vivre en famille dans une grande pièce, une grande chambre.  Il y avait bien sur des différences de moyens d’une famille à une autre, mais dans la plupart des maisons trônait au fond de la pièce familiale le « bonk el qobba », un lit élevé sur pieds, avec une coupole recouverte de tissu. Le lit de fer forgé était doré ou argenté. Sous ce lit, existait un grand espace qui faisait office de dépôt. Par exemple quand la famille avait fini de manger, on enlevait « la meida » (ou la « skampla », autre table basse, octogonale) pour la ranger sous « bonk el qoba » ; on dégageait comme ça de l’espace. Le lit était surélevé d’à peu prés un mètre cinquante. Dessous  il y avait donc tout un volume pour le rangement domestique.  A l’époque, faut-il le rappeler, on ne vivait pas dans des appartements.  Dans chaque douéra ou dar 3rab, il y avait au grand maximum pour chaque famille deux pièces pour vivre. Mais la plupart des gens vivaient en famille dans une seule pièce. C’est comme ça qu’on sortait la « meida » quand des gens venaient en visite à la maison. On la mettait au milieu de la pièce ou dans la courette. Une fois les invités partis, la « meida » et les ustensiles lavés et séchés repartaient sous le lit de fer forgé… »

« Bonq el Qoba », Dar Khdaouj El Amia. Au printemps les femmes en repeignaient le fer forgé d’or ou d’argent et refaisaient le matelas de laine et les broderies de la décoration. (Photo Abderrahmane Djelfaoui)


« Pour ranger d’autres affaires la pièce était pourvue de niches creusées dans les murs, dans le style mauresque.  Une petite étagère en bois coupait la niche vers le haut. Puis il y avait énormément de cuivrerie. « En-nhass », comme on disait. La plupart des ustensiles ou objets de décor étaient en cuivre. Les jeunes filles de la maison les astiquaient au moins une fois par semaine, ce qui s’appelle astiquer comme il faut!..

Jarre en cuivre . « Ecoute ce chant de cuivre ciselé »,
 Ecrivait le poète Bachir Hadj Ali natif de Bir Djebbah


« La cuisine était un espace extérieur à la pièce, dans la cour « El Mrah » qu’on se partageait en commun où il y avait les ustensiles, le « kanoun » (petit four à charbon en terre cuite) qui donnait à la nourriture un excellent gout parce qu’elle y cuisait à petit feu. Il y avait aussi un petit fourneau à pétrole, qu’on pompait. Pour revivre tout ça il faut revoir la série de films télé «Dar Es-Bitar » …

Dar Es-Sbitar est une adaptation feuilletonnesque à la télévision faite en noir et blanc et parlé en algérien par le réalisateur Mustapha Badie d’après le roman de Mohamed Dib qui relate des évènements de 1939 …
« Au mois de Chaabane, avant chaque ramadhan, tous les habitants de la maisonnée se réunissaient pour lancer le blanchiment des murs. Et cela dans chaque maisonnée du quartier, ensemble. Mais le travail de blanchiment à la chaux était fait par les femmes elles mêmes. Les couleurs étaient soit le blanc, le vert pâle soit le bleu nylé… Cela pouvait aussi se faire à l’occasion de mariages  et c’étaient toujours les femmes qui chaulaient la maison, la buanderie  et la terrasse. Pour ces évènements comme pour toute fête ou toute nécessité sociale, l’action est menée dans un mouvement  d’entraide des gens de la maison et des voisins. On ne faisait presque rien seul. Tout se faisait en commun. Par exemple, c’était un point d’honneur de la famille ou même des voisins que d’aller célébrer des mariages de leurs parents ou de parents de leurs voisins dans la lointaine campagne (Metidja, le Sahel, ou plus loin encore) tant forts étaient les liens humains entre les gens. Aujourd’hui on se contente de se souhaiter familialement Saha 'Aidek par SMS…

« Pour ce qui est du bien vivre, je me souviens bien de la « mracha », objet à main fait pour asperger les invités avec du parfum qui servait à mettre quelques gouttes de l’eau de fleur d’oranger dans le café…
« Les niches servaient aussi à y mettre une gargoulette, « qolla » ou « qlilla » au frais. On les décorait de poteries, de vases, de récipients en céramique. Je vous l’ai déjà dis, Mostefa Bendebagh travaillait  la surface de ces gargoulettes avec du jus de caroube (« el kharroube »). Avec ce jus il traçait des dessins d’abord invisibles, mais quand l’objet d’argile était plongé  dans une bassine d’eau,  apparaissait alors de jolis dessins de couleur verte…. C’est qu’on n’avait pas à l’époque de frigidaire. Sinon la « qola » était recouverte d’un sac de jute ou de chiffon.

« Kola », décorée par Mohamed Saddek Daoud
(extrait du catalogue collectif d’hommage à Mostefa Benfdebagh)


« Les étagères ou « mestra » : est un élément   décoratif et fonctionnel. Que ce soit à l’entrée ou à l’intérieur de la pièce ces supports sont destinés à recevoir des objets tels que cuivrerie, vases, quinquets ou chandeliers que les gens aimaient beaucoup …Le bois de ces étagères pouvait être simplement ajouré, sculpté ou joliment peint.
« On trouvait ainsi de petits et grands plateaux de cuivre en série : « sniouate ». Il pouvait y avoir un poste TSF à l’ancienne mode couvert d’un napperon brodé « b-chbika ».

Etagère finement décorée par Mohamed Saddek Daoud, accrochée au mur de son salon (Photo abderrahmane Djelfaoui)


« Le pourtour du sol de la pièce était recouvert de banquettes en bois sculptés ou décorées. Elles servaient de salon dans la journée et de literie la nuit. Elles étaient décorées de coussins brodés (les femmes brodaient beaucoup, point de croix, etc, etc) ; sinon le sol était recouvert de peaux de mouton. C’était comme des fauteuils ; s’y assoir et y passer du temps était un vrai plaisir. Ces peaux provenaient des bêtes du sacrifice de l’Aïd El Kbir, etc. On les lavait, on les séchait sur les terrasses ; elles étaient récupérées.
Au mur, il y avait des tableaux, avec l’évocation de Dieu « Allah », ou du Prophète « Mohamed ». Il y avait aussi à cette époque dans presque toutes les maisons « El Bouraq », la monture mythique sur laquelle le Prophète était monté au ciel. C’était un tirage qui se vendait beaucoup et que les gens aimaient.



Image traditionnelle représentant El Bouraq, cheval mythique (photo Abderrahmane Djelfaoui)



« Ceux qui pouvaient se le permettre avaient un tableau de calligraphie. Il y avait aussi une photographie souvenir du grand père ; on avait le respect de l’aïeul… Eventuellement un certificat d’études, encadré était exposé. C’était quelque chose d’avoir atteint le certificat d’études pour un indigène ! D’autant plus que les filles ne dépassaient jamais les classes du primaire. Elles restaient à la maison en attendant le mariage en faisant de la broderie et en préparant leur trousseau, leur dot. Les femmes travaillaient énormément : ce sont elles qui faisaient les tricots ou chandails, qu’on n’achetait pas. Elles faisaient « mhirmet el ftoul », foulards filés… Il y avait par ailleurs toujours dans les maisons de la Casbah, une machine Singer. On entendait toutes les après midi les femmes pédaler leur machine à coudre : la chemise du garçon, de la fille et même du mari ! Les gens n’étaient pas suffisamment aisés. Il y avait une sorte d’autosuffisance. Même si le linge était vieux, parfois rapiécé,  il était propre et bien repassé…. Je me souviens que les juifs qui habitaient la basse casbah ou Djamaa Lihoud allaient comme nous au hammam ; ils parlaient l’arabe qu’on parlait. Il y avait aussi bon nombre d’humbles européens qui étaient venus s’installer là suite à la guerre d’Espagne…

 « Pour en revenir aux intérieurs de la Casbah où les hommes étaient absents toute la journée, y laissant les femmes, les jeunes filles et les enfants, il faut savoir que les pièces étaient décorées par des  rideaux et des tentures en bon nombre à la porte, à la petite fenêtre comme sur le lit principal, « bonk el qoba ». Ces pièces étaient délicieusement silencieuses. Les femmes, après le déjeuner, l’apres midi, se rencontraient sur les terrasses qui donnaient pratiquement les unes sur les autres et à partir desquelles on avait une vue superbe sur la baie d’Alger, son port, les mosquées, les mouettes…
« Je me souviens surtout des pots de « Hbaq », de basilic. Toutes les maisons, tout le monde en avait au moins un pot qu’on mettait dans un coin »…

Vue sur l’est d’Alger, son port, sa baie à partir d’une terrasse de la Casbah (Photo Abderrahmane Djelfaoui)

Bien sur, même si Mohamed Saddek Daoud ne le dis pas directement, ou préfère même le taire, il sait d’expérience que la vie d’alors pour lui, ses parents comme pour ses voisins n’était pas toujours une partie de plaisir. Aujourd’hui non plus d’ailleurs. Mais l’artisan décorateur et enlumineur qui continue à travailler et peindre à son âge vénérable dans son appartement de Ain Taya ne veut retenir de cette époque révolue que l’atmosphère de bonne entente et de bienveillance humaine, réelle, simple et chaleureuse.


Abderrahmane Djelfaoui
(à suivre...)