Alexandra Gillet, mère d’une petite famille nombreuse est artiste peintre
à ses heures. D’emblée je lui demande si elle est parisienne.
Du tac au tac, fière et enjouée elle
répond : « non je n’ai rien à
voir avec Paris, je ne suis pas du tout parisienne. Je suis bretonne et en mon
jeune temps en Bretagne quand les autres allaient à la danse ou au foot, moi je
faisais les Beaux arts… J’ai toujours peint pour mon plaisir, parce que j’adore
ça. J’ai fait les Beaux arts en auditrice libre. J’allais pendant une heure et
demie apprendre le dessin ; ce que j’ai
fait ça pendant cinq ou six ans. Je n’ai jamais eu de diplôme des beaux arts,
alors que je constate qu’ici que plus on est bardé de diplômes des beaux arts
et mieux c’est. Ce qui n’est pas trop mon idée… »
Alexandra Gillet et ses pin’s au vernissage de son
exposition , Galerie Sirius (photo Abderrahmane Djelfaoui)
« La vie la mène à Alger en
2005, puis en Egypte en 2009 », où elle exposera des portraits de
femmes inspirés du Fayoum antique… De retour en Algérie en 2013, après deux
expositions privées consacrées aux diplomates Alexandra Gillet fait sa première
exposition publique à la mi mai à la Galerie du Télemly que dirige Valentina
Ghanem Pavlovskia avec dix huit toiles qu’elle signe toutes d’un bel « Agi »...
On découvre une série de tableaux sous le titre générique de « Haik Vibes . Amour, Mystère et
Féminité» (Vibes signifiant : ambiance …). Des tableaux en hauteur, de
mêmes mesures (80cm x 110 ou 120 cm)
qu’elle avoue avoir réalisée vite, très vite (pratiquement dans l’année) compte
tenu du poids de ses obligations familiales.
Toutes ces toiles, vives et accrocheuses, parce qu’étonnantes par leur
humour et le regard de tendresse de leur auteure sont des
« portraits » en plan américain donnant à voir un bout de front et
les gros yeux de femmes voilées jusqu’à hauteur de leur poitrine avec au
moins une de leurs mains (sauf pour huit d’entre elles : charmantes
algériennes qui ont des prénoms imaginaires. « Je leur ai donné des prénoms parce que pour moi elles sont
vivantes » : Thizirt, Chaza, Yamma, Siwa, Mellala, Wezna, Anarose, Kahina…).
Un même thème donc (le haik)
et un style sériel, à plat et de face, avec une sorte de scénographie en écho qui,
je ne sais pourquoi, (et surtout quand on prend assez de recul pour les voir
ensemble) me rappelle d’emblée, mais lointainement les manga ou le montage d’images dans une veine proche de la publicité.
Ce qui m’est confirmé quand l’artiste m’apprend qu’elle a tout de même fait une
école de communication graphique, de publicité, avec diplôme, un domaine où elle a exercée en
agence durant une dizaine d’années en tant que directrice artistique…
Après cette décennie professionnelle dans la com, la vie de famille va
prendre le dessus avec les soins et l’éducation des enfants mais aussi avec le hasard
des voyages d’affaires du conjoint en Algérie,
en Egypte en 2009, puis à nouveau l’Algérie depuis trois ans. Alexandra
n’a que 45 ans…
Achwak, La Passion, acrylique sur toile (80 cm x 120cm) (photo Abderrahmane Djelfaoui)
EPINES, SANG, ARGENT….
Si l’on ne voit pas les mains d’Achwak-la
Passion, le sang de ses lèvres coulant sous sa voilette impeccablement
blanche est net. Tout comme est net son riche collier de pièces d’argent en V qui redouble par contraste la forme
triangulaire de la voilette…
Toile dérangeante s’il en est, mais une toile non faite à partir d’une
photographie ou d’un modèle réel ; ce qu’elle me confirme pour tous les
« portraits » de cette série. C’est dit-elle un travail imaginaire,
un travail de mémoire, un travail spontané d’impressions intimes… « J’ai toujours peint des femmes, des
portraits de femmes. J’ai toujours été
attirée par la beauté féminine. J’aime percevoir la beauté chez les femmes,
même quand elles sont laides. La vérité c’est ça…. Et ces Algériennes je les ai peintes avec
plaisir, comme tout ce que je fais, mais sans avoir d’histoire particulière
avec elles. Pour les portraits des femmes du Fayoum d’Egypte la raison qui me
poussait à peindre ces beautés était tout simplement esthétique. Et dans deux
ans quand je serais au Sénégal je peindrais certainement des sénégalaises…Un
partage, avec des clins d’œil. C’est bienveillant. Je n’ai pas envie d’ailleurs
de justifier tout ça…D’ailleurs, pour ces femmes que je trouve tellement belles
en haïk je voulais au début faire de l’exposition une conversation avec ces
femmes qui sont toutes dans la même position, qui regardent, avec au milieu
d’elles les gens venus les voir… Mais là il aurait fallu trouver à Alger un espace
galerie spécial pour ça…».
Oui. Et dans le tableau d’Achwak la Passion, celle-ci semble condamnée à
ne pas pouvoir enlever la tige d’épines qui la blesse cruellement… Serait-ce l’éternité de la blessure, me dis-je ?...
Même si un œil, de gauche, est comme vitreux de douleur tue, la posture de la
jeune dame est digne. Yeux tournés vers la lumière, elle regarde, elle attend,
presque hiératique. Une attente d’autant plus intérieurement compulsive mais
retenue que le fond de la toile est rouge sang, un rouge que l’or du voile sur
la tète et les épaule d’Achwak porte à incandescence…
Ce fond interpelle l’homme d’image je suis. Alors qu’il semblerait faire
fonction de simple décor pour juste « poser » le personnage dessus, («fonction
support » « collage »), je remarque à l’observation que la
texture de ce « fond » est travaillée telle une toile de peinture
abstraite en elle-même… Et c’est pratiquement le cas pour les différents fonds des
dix huit portraits. Autre nuance, de taille : ces fonds ne me semblent pas
du tout aussi répétitifs dans leur conception que le sont les poses des jeunes algériennes
alignées en série… A preuve ce détail de la toile : « Lehna, La
Paix » (ou : I love Casbah)…
Détail de I
love Casbah… (photo Abderrahmane Djelfaoui)
Alexandra
Gillet lors du vernissage de son expo de dos par rapport à l’une de ses toiles
(photo Abderrahmane Djelfaoui)
On aurait aimé connaitre les réactions du public féminin, venu
d’ailleurs nombreux au vernissage de l’expo,
probablement attiré par le thème (sensible, s’il en est) et par l’affiche
« coup de poing » qui a bien circulé sur les réseaux sociaux. Connaitre
leur perception quant à ces femmes voilées, enfermée chacune dans le cadre
solitaire dune toile. Femmes peintes qui
ne parlent pas, qui ne communiquent pas autrement que par symbole à la main :
un ballon, un cœur, une khamssa, un
oiseau sur le doigt… Et, surtout, savoir leurs sentiments et pensées envers la
voilée qui joue au rubiscube, celle qui médite avec un ballon à mèche explosive
dans les mains ou encore celle qui tire de façon provocatrice sa langue
sensuelle qui crève la voilette ! (emblème des Roling Stones, dit-on….).
Personnellement j’en ai vu beaucoup sourire tendrement, s’amuser,
pointer le doigt pour les copines ou les copains sinon écarquiller les yeux. Je
ne sais si les télés nombreuses à venir faire la visite ont retransmis cet
aspect des choses…
Algéroises
venues voir…. (Photo Abderrahmane Djelfaoui)
Une généreuse réaction d’artiste aura été celle du peintre Azwaw
Mammeri présent au vernissage. S’il était aux anges, avec l’amie peintre Valentina
Ghanem qu’il retrouve, son regard sur les œuvres d’Alexandra semblait assez
perplexe… Il me dit spontanément, comme à son habitude, qu’il la trouve « très sympa ; surtout son sourire, son
rire et ses yeux qui sont plein d’amour »… Alors, qu’en est –il de ses
toiles ?... Il ne dit rien. Il fait une moue, regarde passer les jeunes
dames, leurs cheveux… Puis finit par lâcher à mi voix : « Les
tableaux sont trop proches les uns des autres sur les murs de la galerie. Par ailleurs c’est une peinture qui aurait
gagné à être maturée plus longtemps… » Puis, humble seigneur il dit
comme s’il se parlait à lui-même : « … Son travail me rappelle quand
même un peu Modiglinai ; un lointain Modigliani au féminin »…
Modiglinani hier ! Algéroises d’expo aujourd’hui … Demain :
vers quels autres imaginaires de visages et grands yeux s’envolera encore
l’artiste qui se propulse peut être vers
une signature de grande renommée?... Nous le lui souhaitons.
Abderrahmane
Djelfaoui
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