Dans le triangle
géographique restreint de la Casbah qui avait fait son nid sur la
colline principale de la ville et qu’on appelait El Djebel, Mohamed Saddek
Daoud a eu la chance de réaliser un cursus scolaire entier et riche. Celui ci
commencé à la garderie d’enfants du jardin Marengo, se poursuivra à l’école
maternelle de la Rampe Vallée (Rampe Louni Arezki). Après le collège à la place
Lelièvre (Bab el Oued, à coté de l’hôpital Maillot), il terminera ses études
secondaires au lycée Bugeaud (actuel Emir Abdelkader)
Daoud
Mohamed Saddek à son domicile (photo Abderrrahmane Djelfaoui)
… En 1954, à l’invitation de Mostefa
Ben debbagh dont il est le jeune et proche voisin en haute de la Casbah il s’inscrit
à l’actuelle Ecole des beaux arts qui venait d’ouvrir ses portes du Telemly, au
parc Gatlif. Mohamed Sadek venait de quitter le lycée Bugeaud. « Pour moi, plus qu’un don, faire des
études d’art était une occupation saine » ; et deux ans durant il
est inscrit pour deux matinées par semaine dans la classe de Mostefa Ben debbagh, le reste des études étant consacré à la
décoration. « A cette époque, en
plus des cours de Ben debbagh, qui enseignait la Décoration mauresque et la
sculpture sur bois, j’ai aussi suivi des cours décoration et de perspective avec
Denis Martinez … En septembre on
s’inscrit, la guerre commence en novembre… A cette époque où j’y étais Mohamed Racim
enseignait je crois à la villa du Centenaire qui prendra ces dernières années le
nom de la Villa du Millénaire, à Bab ejdid, … Les noms des autres enseignants
ont malheureusement disparu de ma mémoire ».
Le
cahier de classe sauvegardé :
C’est un petit cahier de dessin à grands carreaux recouvert avec le dépliant
publicitaire d’époque de la maison française Thiriez et Cartier-Bresson qui
faisait la distribution du fil à broder à Alger.
La
couverture du cahier d’études conservé par Daoud (photo Abderrahmane Djelfaoui)
L’élève Mohamed Sadek Daoud, assidu et appliqué, y reproduisait les dessins que le maitre traçait au tableau
de la classe de l’Ecole des beaux arts. Finement et de manière précise. « Et durant les vacances, ces dessins étaient pour
moi des références et des modèles, pour continuer à dessiner ».
Le cahier
de dessin de l’année scolaire 1954 – 1955 .
On voit sur
la page de droite la signature de Mostefa Ben debbagh , dédicacée,
avec cette
phrase : « A mon élève Mr Daoud
Mohamed »
(photo
Abderrahmane Djelfaoui)
Un des
motifs floraux enseigné par le maitre Ben debbagh
Et reproduit
par Daoud dans son cahier de l’année 1954-55
Attestation
de Premier Prix de l’année 1954-55 attribuée à Daoud
A propos de Mohamed Temmam, Né en 1915 à la Casbah, ami des peintres Ali
Ali-Khodja, Mohamed Louail, M'Hamed Issiakhem et de l'écrivain Kateb Yacine,
miniaturiste, peintre et violoniste et après l’indépendance
Conservateur du Musée des antiquités et des arts islamiques (de
1963 à 1988) Daoud se rappelle une anecdote significative.
« Un jour, durant les années
90, avec ma femme nous sommes allés visiter le Musée des Antiquités. A la
sortie on rencontre Si Temmam. On se salue, poignée de mains et échange de sincères
formules de civilité. Et de me dire « Tenfa3kom ezziara » ; une
sacralisation de l’art comme si l’on venait de visiter un saint marabout.
C’était magnifique ! Et c’était dit dans le sens : vous avez passé un
bon moment… »
Mohamed
Temmam, autoportrait
Et
l’enseignement de Mostefa Bendebagh?...
Comme le souligne l’un des écrits du catalogue « Hommage à Mostefa
Ben debbagh. Le maitre et ses discipiles » (2016), sous la signature de
Samir Dendene : « [Mostefa Ben debbagh] succéda en 1943 à Mohamed Kechkoul comme enseignant de décoration et
d’arts appliqués à l’Ecole des Beaux Arts d’Alger qu’il ne quittera qu’à l’âge
de la retraite en 1982 ». Malgré cette longue durée dans l’institution
académique, l’enseignement des arts traditionnels ne s’adressait en fait qu’à une portion très
réduite d’élèves indigènes.
Il faut à ce propos rappeler que l’essentiel des jeunes qui
ambitionnaient de pratiquer un jour le
métier des arts traditionnels devaient d’abord trouver (ou être recommandés ) auprès
d’un maitre qui accepte de les prendre comme apprentis dans son atelier à la
Casbah même. Il arrivait même que les parents paient le maitre pour que leur
enfant soit apprenti… « Les jeunes
scolarisés, qui avaient le niveau du certificat d’études ou du brevet, se
rappelle Mohamed Sadek Daoud, faisaient durant les vacances, par exemple, la tournée des artisans, des petites imprimeries
ou des garages de mécanique pour être acceptés en tant qu’apprentis, souvent
sans être payés, juste pour approcher le métier et , comme on disait, voler le métier des yeux. Au plus, quand ces
jeunes assidus se salissaient beaucoup, comme chez le mécanicien, celui-ci leur
donnait le prix du hammam pour aller se laver »…
Et de poursuivre pour ce qui le concerne : « Enfant de la Casbah, j’avais eu la chance de faire le lycée et
après, je me suis inscris à l’école des beaux arts sur avis de Ben debbagh.
A l’époque son cours s’appelait
Décoration mauresque et Sculpture sur bois… Eh bien figurez vous que j’ai
retrouvé mon cahier de dessins de 1954 !...Il est là depuis plus de60 ans…
Les cours avec Ben debbagh ont démarré tout doucement. Il ne se pressait pas.
Il vous enseignait fleur par fleur, l’une après l’autre. .. Ensuite dans une
autre étape il faisait pour nous un schéma ou
un croquis au trait et chacun de nous devait ensuite le peindre le plus
finement possible. Nous étions deux élèves dans sa classe à cette époque ;
ma camarade s’appelle Djamila Bent Mohamed, une peintre… 3afrita !
Originaire d’Alger, elle habitait le Bonmarché, de grands immeubles en face de
la clinique Ait Idir au haut de la Casbah. On les appelait ainsi parce que
c’étaient des habitations à loyer bon marché. Des bâtiments bien faits, avec
des cours intérieures… Djamila Bent Mohamed a donc étudiée avec moi Décoration
mauresque, puis elle a poursuivi ses études en Europe, en Hollande. Elle a
voyagé en faisant énormément d’expositions. Allah ibarek, elle a eu un premier
prix de la Galerie des quatre colonnes à l’époque où cet espace était géré la
municipalité d’Alger, municipalité
devenue aujourd’hui l’Assemblée
nationale… »
Samir Dendene, soulignant la continuité vivante du fonds des arts
traditionnels depuis des siècles note dans un article du catalogue d’hommage collectif
à Ben debbagh : « Que les
représentations soient peintes sur du textile, sur de la céramique ou du
mobilier, les animaux qui y sont représentés appartiennent à toutes les
espèces. Ils sont dessinés d’une manière très stylisée, mais avec un grand sens
de la vie. C’est ainsi que l’on trouve dans les œuvres de Ben debbagh le
phénix, l’oiseau du printemps, l’oiseau du bonheur, oiseau de l’aube et le roi
des oiseaux. Cet oiseau légendaire, doué de longévité et caractérisé par le
pouvoir de renaitre après s’être consommé sous l’effet de sa propre chaleur,
symbolisant ainsi les cycles de la mort et de la résurrection »
Croquis signé Ben debbagh (photo Abderrahmane
Djelfaoui)
Flash
back sur la Casbah d’antan
« Pour ce qui est des
artisans de la Casbah qui étaient très
nombreux durant mon enfance, reprend Mohamed Saddek Daoud, le premier souvenir
qui me vient à l’esprit est celui d’un
artisan connu qui s’appelait Zoulou, d’origine marocaine, installé à mi hauteur
de la Casbah, qui faisait de beaux d’objets traditionnels en cuivre. Je crois
que c’est un membre de son atelier qui a prit sa succession et continue encore
aujourd’hui… »
L’ancienne
échoppe de l’artisan Zoulou, aujourd’hui (photo Abderrahmane Djelfaoui)
« Plus bas, Il y avait des
tisserands tout comme des bijoutiers et des orfèvres de bijoux traditionnels.
Pour ce qui est de la confection, elle aussi artisanale, les femmes de la
Casbah prenaient de l’ouvrage à faire chez elles, à la maison. Les commerçants
de tissus de la rue de la Lyre par exemple avaient des femmes qui leur
faisaient spécialement de la couture, avec modèle ; ces femmes venaient
aux magasins prendre puis rendre la commande, que ce soit des
« sraouels », des « bed3iyates » (gilets pour hommes ou
corsets pour femmes), des blouses, etc…Au passage, n’oublions pas que malgré
leurs occupations domestiques, les travaux incessants à faire, les femmes
pratiquaient la bouqala. C’était d’abord
une poterie servant à boire mais
aussi et surtout un outil de jeu qui
porte le même nom. Les femmes,
rassemblées, en jouait durant des soirées en attente de bonnes nouvelles par un
présage.
« Cela sans parler des
artisans de la chaussure, la chaussure à la fois traditionnelle et moderne qui
faisait qu’il y avait une grande activité du travail et du commerce du cuir à
la Casbah..
« Les ébénistes eux
faisaient entre autre des « meida », table ronde et basse autour de
laquelle on s’asseyait sur des peaux de mouton à même le sol. Ils réalisaient
également des « skamplett » (des tables octogonales), des coffres
(« sendouk el 3roussa » avec des dessins d’oiseaux, de coqs et de poissons),
des étagères ou des porte-turbans (une petite étagère murale, mise à l’entrée
de la pièce sur laquelle le maître du logis mettait son couvre chef
« chachia » et prenait sa calotte « arakia » dès son retour
chez lui)...
Un coffre
peint par Mostefa Ben debbagh
Comme à l’époque, la famille
était nombreuse on trouvait très souvent un berceau en bois dans les maisons.
Celui ci était décoré sur ses faces extérieures qui étaient légèrement
inclinées ; ce qui permettait à la maman de bercer le bébé tout en poursuivant
d’autres occupations. Ce petit lit
pouvait être suspendu à une traverse du plafond ou au plafond lui-même, mais il
était la plupart du temps prés du bonk el qoba, le lit principal des parents. A
l’intérieur du pays, les femmes nouaient d’ailleurs une cordelette à leur main
ou à leur pied avec laquelle elle tiraient le berceau tout en continuant leurs
autres travaux domestiques.
« La Casbah
grouillait ; partout, il y avait des ateliers et elle était très animée.
Au dessus de Djamaa Lihoud, il y avait ce qu’on appelait « Houanet Sidi
Abdallah », les boutiques de Sidi Abdallah où il y avait une série de
bouchers qui vendaient des tripes et à coté d’eux des petites échoppes de
casse-croutes au foie, par exemple, qu’on leur livrait sur place…. »
Retour
sur Mostefa Ben debbagh, maitre calligarphe.
Un autre témoignage de valeur est celui d’un de ses élèves plus jeune,
d’après l’indépendance, celui de
Mustapha Benkahla, actuel Directeur du Musée Public National de l’Enluminure, de la Miniature et
de la Calligraphie. Il écrivait en préface à un catalogue d’hommage collectif
au maitre :
« Il y a maintenant un demi
siècle, dans le début des années 64, nous étions ses élèves les plus assidus et
les plus fidèles dans son cours qu’il professait à l’école nationale des beaux
arts. Comment ne pas être captivé et fasciné quand le maitre enseigne avec la
plus grande attention, qu’il vous transmet généreusement son savoir, qu’il vous
accorde tout son dévouement en joignant douceur, patience, compréhension. Sur
le plan du cœur et du sentiment, nous étions touchés par cet homme modeste et
combien affable qui pour nous, venait à pied, une longue distance, de la Casbah
où il habitait jusqu’à notre école perchée la haut sur les hauteurs. Nous
étions baignés du bonheur d’avoir un enseignant aussi merveilleux ».
L’artiste miniaturiste et décorateur sur bois, ajoute de son coté dans
la même catalogue :
« … Un enseignement dans la
bonne humeur et dans la rigueur. Que dire de plus de cet artiste qui a donné
toutes les lettres de noblesse aux arts appliqués ? »
Toujours à propos de Mostefa Bendebbagh,
Daoud Mohamed Saddek se rappelle qu’au moins pour ce qui est des années 50, chaque
année son maître réalisait un tableau qu’il allait offrir à Sidi Abderrahmane.
C’était là un lien spirituel très fort et respectueux qui liait l’artiste (tout
comme d’autres) au saint patron de la vielle cité d’Alger. Il y avait par
ailleurs note-t-il un wali à l’intérieur même de l’Amirauté (Sidi Brahim) du
port d’Alger auquel les gens rendaient régulièrement visite depuis des siècles. Ben debbagh y
avait fait ou refait des peintures au plafond. Aujourd’hui ce sanctuaire est
fermé au public…
Daoud
Mohamed Saddek avec Mostefa Bendebagh dessinant
La vie allant son train, Mohamed Sadek Daoud devint cadre commercial
pour gagner sa vie. Il voyagea beaucoup en Algérie « et je revoyais Ami Mostefa à chaque retour… Et quand en 1994 j’ai pris
ma retraite, c’est alors que je me suis remis à faire du dessin. Bien que
durant toute ma période d’occupation professionnelle je n’ai pas arrêté, en
marge, de travailler sur du papier canson. Je pouvais m’arrêter un jour ou
plus. Reprendre plus tard, mettre des couleurs, etc.
« A ma retraite je me suis
retourné un peu sur le bois. J’avais plus de temps. Je travaillais ici à la
maison, parce qu’il me fallait de la place. C’est une activité qu’on ne peut
pas entrecouper. Il faut le faire en continu. Le bois ce n’est pas moi qui le découpait ;
cela c’est de bons menuisiers à la Casbah ou ailleurs qui le faisait. J’en avais un très bon à Maison Carrée, qui
avait travaillé aux menuiseries de la DNC ANP, qui faisait même de
l’ébénisterie, allah yerhmou. .. Et depuis mon temps je le passe à la
décoration que ce soit sur bois, sur assiettes et même de la poterie.
« Des derbouka j’en ai fait à foison. Traditionnellement la
derbouka est un instrument musical populaire de percussion, presque
indispensable dans toutes les demeures de la casbah pour célébrer un événement
heureux concernant la famille ou un des voisins de la douira (même maison) ou
de la « houma ». Cet objet avait toujours sa place dans un coin de la pièce.
Malheureusement pour ce qui me
concerne, avec le tremblement de terre de 2003 presque tout a été détruit dans
la maison que j’habite ici à Ain Taya. J’ai eu beaucoup de dégâts et depuis je
ne travaille plus sur la terre cuite. La dernière je l’ai vendue à quelqu’un
qui est parti au Maroc… Le bois c’est moins risqué même si ça prend plus de
temps. Et le bois d’aujourd’hui est meilleur que celui d’avant qui provenait de
planches. Il bougeait. A une table il fallait, avant, ajouter des tenants et
des mortaises. Maintenant le bois qu’on a c’est du multiplié, en grande plaque,
et il ne bouge pas… »
Derbouka
algéroise de Mohamed Daoud
Tant de choses encore à dire, à rappeler… Peut être une spéciale pour
le mot de la fin, puisqu’elle venait de la bouche même de maître Ben debbagh à
son élève Daoud. Concernant l’utilisation
de la couleur rouge, il lui dit : « Le rouge en bordure de toute décoration c’est comme la femme qui
se fait belle en se mettant du rouge à lèvres » : chgoul el mrâ
ki thammar….
Abderrahmane Djelfaoui
RépondreSupprimerRemerciments à Abderhmane Djelfaoui qui sait ceuillir le plus haut degré de la noblesse humaine que l'on dirait avec art!afin de décrire l'antique casbah et le métier d'art. .
Dans un impérieux élan il nous prend la tête pou nous plonger dans le passé à travers un transport en temps réel avec forte émotion reconstituant dans le moindre détail à savoir l'ornement des maisons"maiida, lits de parents qu'on appellait bonk el quoba que le dessous servait de rangement ,berceau relié à des cordelettes pour bercer les bébés,peaux de moutons et derbouka sans omettre le métier d'art et artisans de la casbah et rôle des femmes non moins important réincarnation d'un passé révolu !
Ainsi les points lumineux éteints se rallument après des années ,mais si la beauté de tout un vécu impressionne c'est parceque la mémoire ne saurait être que plus puissante, qu'autant qu'elle nous subjugue pour évoquer les meilleurs épisodes vécus par Mohamed Saddek artisan dans la décoration mauresque et sculpture sur bois et restituer dans un puissant témoignage de vie qui coule dans sa tête ,des souvenirs de l'école des beaux arts,des événements et des situations avec son maître Mostafa Bendebagh,un passé qui reste accroché dans le cœur,rallumer les étoiles des souvenirs une à une où DJELFAOUI ABDERHMANE excèlle en mêlant réalité historique ,imagination et sens du réel
Remerciments à Abderhmane Djelfaoui qui sait ceuillir le plus haut degré de la noblesse humaine que l'on dirait avec art!afin de décrire l'antique casbah et le métier d'art. .
RépondreSupprimerDans un impérieux élan il nous prend la tête pou nous plonger dans le passé à travers un transport en temps réel avec forte émotion reconstituant dans le moindre détail à savoir l'ornement des maisons"maiida, lits de parents qu'on appellait bonk el quoba que le dessous servait de rangement ,berceau relié à des cordelettes pour bercer les bébés,peaux de moutons et derbouka sans omettre le métier d'art et artisans de la casbah et rôle des femmes non moins important réincarnation d'un passé révolu !
Ainsi les points lumineux éteints se rallument après des années ,mais si la beauté de tout un vécu impressionne c'est parceque la mémoire ne saurait être que plus puissante, qu'autant qu'elle nous subjugue pour évoquer les meilleurs épisodes vécus par Mohamed Saddek artisan dans la décoration mauresque et sculpture sur bois et restituer dans un puissant témoignage de vie qui coule dans sa tête ,des souvenirs de l'école des beaux arts,des événements et des situations avec son maître Mostafa Bendebagh,un passé qui reste accroché dans le cœur,rallumer les étoiles des souvenirs une à une où DJELFAOUI ABDERHMANE excèlle en mêlant réalité historique ,imagination et sens du réel