Il y a plus de treize
maintenant, une dame me contactait pour me demander de préfacer son recueil de
poésie à paraitre… Elle s’appelle Djamila Musette, nom qui pour moi suscitait
le respect au seul vu des interventions de son époux, natif de l’ile de la
Réunion, sociologue bien intégré à la communauté des chercheurs algériens en
sciences sociales….
A cette date, une
anthologie des éditions Seghers, « L’année
poétique 2005 », publiait parmi cent vingt poètes, un de me poèmes sur
Séraidi (Annaba)… Trois ans plus tôt j’avais cependant eu la chance d’en voir d’autres traduits à l’italien par Bruno Rombi en Sicile,
sous le titre de « Algeri separazione (Alger
séparation) » ;
c’était en 2002…
Ce recueil s’ouvrait sur cet éclat :
cette ville sépare nos pieds
des sables
nos rires
de leur sillage
pour certain matin tondre
nos cous dans la rade
*
Je me penchais et me concentrais sur mon clavier pour rédiger la
préface demandée… Le hasard de mes relectures d’alors quant à Apollinaire et
la boucherie de la guerre 14-18 créèrent l’étincelle, le lien entre les
horreurs mondiales du début du 20eme siècle et celles qui allaient tragiquement le clore pour ce qui nous concerne…
Voici ce texte exhumé (et, sans que je le sache, allait reparaître
dans une nouvelle édition des poèmes de Djamila Musette) :
Préface
Depuis des millénaires la poésie, en
toutes langues, est un chant humain. Un chant qui ne cesse d’exprimer par la
musique des mots le bien le plus précieux : la Vie.
Dans sa lumière et ses ombres.
La vie indissociable de l’amour.
Toute nourrie du temps qui fuit…
Alors, si telle est la compagne de nos
cœurs, celle-ci peut-elle témoigner des tragédies de l’histoire ?
Apollinaire, fondateur de la poésie
moderne du XX ème siècle, créateur du mot « surréalisme », engagé
volontaire dans la première guerre mondiale, blessé dans les tranchées par un
éclat d’obus, trépané, écrivait dans une lettre à l’une de ses
correspondantes :
« En réalité, aucun écrivain ne
pourra dire la simple horreur »…
Tant l’horreur dépasse l’imagination des
humains que nous sommes et que nous voulons demeurer dans la confiance du
partage.
Mais ceci dit, (et les innombrables
lecteurs d’ici et d’ailleurs le savent fort bien, les fonds de bibliothèques
universelles le prouvent) :
Il n’en demeure pas moins que la colère
des poètes ou leur murmure citoyen dans les grands drames humains qu’ils
subissent aussi sont un passage obligé pour que leur famille – la grande
famille humaine qui avance- puisse faire son deuil. Pour que cette famille
plurielle et pacifique puisse continuer à marcher d’un pas digne.
Pardonner peut être, surement même un
jour….
Au jour d’aujourd’hui, entre nos mais,
de nos yeux à notre mémoire encore inquiète, le témoignage pathétique d’une
femme d’Alger, sociologue et poète, dont le cri à travers la hachure des
phrases, par de là la cisaille des mots, est en dernière instance une volonté
de nous transmettre le souffle du jasmin de sa ville, nous transmettre, en tout
bien tout honneur, après tant d’années noires, l’air renouvelé de ce jasmin…
Abderrahmane Djelfaoui
Le recueil de Djamila Musette,
composé d’une vingtaine de poèmes, était sobre et soigné. Sur la page de
couverture une peinture de M’Hamed Issiakhem extraite d’un livre L’enfance au cœur, imprimé par l’ENAG pour le compte de l’Association
enfance et famille d’accueil bénévole… Recueil lui-même édité et imprimé par l’association des psychologues SARP…
En ouverture du recueil, à la suite de ma préface, l’auteure a intégré
en facsimilé l’extrait d’une photographie « d’un fragment du drapeau algérien, distribué lors d’une soirée de
commémoration, organisée par la Fondation Boucebci à Riadh el Feth, Alger,
durant les années 9O »…
Puis le premier grand poème de Djamila Musette ; poème fondateur et
structurant autant le récit que de la mémoire…
Perdu dans la cité
Je n’ai que ma poésie
et avec ma poésie
j’erre
au cœur
de ma Cité,
dénudée…
J’erre
dans une longue
nuit
d’enfer…
comme dans un cimetière…
désert.
A travers ses artères…
seulement le néant
un silence
lugubre,
et j’ai froid de peur.
Et mes larmes
coulent
sur toutes ces dépouilles
et sur ma Cité
qui s’écroule…
Je pleure…
Je pleure
toute cette jeunesse
qui hurle
sa détresse…
du haut de ce minaret.
…………………………………..
Tous ces êtres égarés
…………………………………..
Et j’ai mal.
Trop mal
en moi…
…………………………………..
Pour tout ce mal
autour de moi
je me sens
mal…
mal dans ma peau…
sur cette terre…
j’ai trop mal !
…………………………..
Pour l’enfant
au regard apeuré.
Pour le rêve
qui n’existe plus.
Pour l’innocence
saccagée.
Pour l’oiseau
qui ne chante plus.
Pour la vierge
Violée.
Pour la mère
éventrée…
………………………….
J’ai trop mal
au bas ventre
………………………….
Quelque chose
est brisée
au fond de moi.
Quelque chose
Quelque chose
qui ne se répare pas
………………………….
Ma blessure
reste
grande
ouverte.
La mort rode
autour de moi.
Et les vautours sont encore là.
Et les vautours sont encore là.
*
Au dos du livre, en quatrième de couverture, on pouvait lire ces lignes sur le profil de l'auteure:
Revu et augmenté, ce recueil est réédité en 2018 par les éditions Frantz Fanon situées à Tizi Ouzou.
Sortie de l'ouvrage qui donna l'occasion en janvier 2018 à une émission télé (culture club) suivie d'une émission radio animées toutes deux par Karim Amiti, au Boulevard des Martyrs, et qui donnaient la parole tant à Djamila Musette et son jeune éditeur Amar Ingrachen, qu'à la peintre Zohra Hachid-Sellal et moi-même...
(studio de la chaine 3; photo Abderrahmane Djelfaoui)
Abderrahmane Djelfaoui
Poseur de mots, poseur d'images, reconnaissable tentation de vie sans nom. Rabbi yekhellik Abderrahmane
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