(Dessin de Khadda)
Mes souvenirs ne
me semblent pas nombreux pour un homme que j’ai côtoyé et avec qui j’ai souvent
longuement discuté….
[…] Pour moi, ce
sont comme des images d’une époque qu’on croirait extraites d’un film
documentaire en noir et blanc réchappé des mouroirs de la censure …
[…] C’est que
(sans jamais le dire) il venait d’un (autre) monde où, de parole tue, il
fallait d’abord faire, bien faire et montrer qu’on savait faire et surtout
mieux faire encore… Enfant de la pauvreté extrême, il fut ado ouvrier typographe
dans une petite imprimerie artisanale du quartier indigène de sa ville natale, Mostaganem,
puis (miracle) étudiant en arts et artiste peintre (prétendant à la modernité)
en exil dans la ville lumière, Paris, au moment de la guerre de libération
où son peuple bandait ce qui lui restait de forces pour vaincre l’innommable.
Ce qui marque pour toujours, quoi qu’on dise…
[…] Plus proche et sans logique
apparente par rapport à d’autres éclats (par exemple Mohamed à l’atelier
d’imprimerie, centre ville, avec deux typographes fondant devant moi les
lettres de plomb d’un texte à passer sous presse….), fuse un souvenir d’une des premières
manifestations publiques de rue à Alger pour soutenir le combat du peuple palestinien
lancée conjointement avec Mohamed tout en étant soutenue de façon « clandestine » par un très grand
nombre de camarades réunis autour du syndicat de la Radio et de la Télévision
Algérienne (RTA). Enorme entreprise.
La marche massive, avait démarré
du boulevard des martyrs-hôtel Saint Georges et descendait vers le centre ville
où se trouvait l’ambassade de la Palestine. Je me souviens des échanges éclairs
qui ont devancés cette manifestation, avec Mohamed et Hachemi Cherif. Mohamed
en était à cent pour cent, bien sûr, mais beaucoup de questions fusaient de sa
bouche, de ses yeux noirs, de ses paumes de mains à demi levées. Il se
demandait avec crainte s’il fallait vraiment croire à ce qu’on puisse faire ça. La chose avait elle été bien mûrie,
était-elle mûre ?…
Je ne comprenais pas bien ses
hésitations, verbales. Mes arguments de jeune militant étaient respectueux et
sans appel… Mais peut-on aujourd’hui comprendre cette atmosphère d’époque,
cette peur (presque panique) d’avoir bientôt la SM sur le dos ? Celle-là qu’on appelait par euphémisme
entre nous : Sport et Musique…
Et puis, côte à côte, d’une foulée
fière de manifestants nous marchions tandis que les gens sur les trottoirs soudain
arrêtés, surpris, un peu éberlués nous étaient bientôt acquis d’un franc
regard, d’un geste, d’un mot… Mohamed regardait partout avec vivacité, et, les
craintes envolées, son visage devenait
alors (je le vois encore) rayonnant, clair et classiquement parfait sous les
morceaux de chants, les vivats et les mots d’ordre en arabe et en français qui
montaient comme des ballons colorés dans le ciel au-dessus de Mustapha
supérieur. Il était heureux d’occuper la chaussée avec tous les autres
camarades connus ou dont les visages se découvraient peut être pour la première
fois pour lui. Heureux, j’insiste…
Un autre souvenir flash qui me revient
aussi dans le désordre (de quelques autres, si courts, infimes? que je ne sais
réellement comment en rassembler les éclats), un souvenir qui m’apparaît comme
« suspendu », hors de tout
repère chronologique, est celui du Centre familial de Ben Aknoun dont Ahmed
Akkache était alors le directeur. Bien des rencontres culturelles importantes
étaient organisées là ; autour du cinéma et des cinés clubs pour ce qui me
concerne. L’une d’elles justement, organisée conjointement avec le Krimo Baba
Aissa qu’on verra apparaître en tant que Dahmane
Bouftika dans « Omar gatlato »
de Merzak Allouache (1975-76) concernait un séminaire de formation des
animateurs de cinés clubs à l’échelle nationale.…
Un
film de Merzak Allouache réalisé en 1976
et qui reçu, entre autres distinctions,
la
Médaille d’Argent au Festival du film de Moscou en 1978
Nous avions convaincu Mohamed,
alors non seulement peintre de renom mais également grand affichiste, à venir
tenir un atelier de réalisation d’affiches d’information pour les jeunes et
très actifs animateurs.
Nous avions pour la circonstance
acheté un matériel appréciable de grandes feuilles de papier Canson, de crayons
de couleurs, de feutres, de gommes, de tailles crayons, de règles, etc. Et pour
commencer les travaux, Mohamed de nous donner « sans rien dire », une leçon inoubliable. Il prit une grande
feuille de Canson, la plia soigneusement en deux et la coupa sans utiliser de
ciseaux ; il en prit une seule part, rangeant l’autre, et se mit de façon
aisée et précise à tracer le titre du film, le nom du réalisateur, la date de projection,
le lieu et d’autres infos à main levée. Avec des caractères de différentes
grosseurs ; des alignements comme tirés au cordeau ; une incroyable
unité de ton ; de dextérité et de clarté. Nous étions tous autour de lui
épatés. La leçon portait ses fruits en direct, in live, comme on dirait aujourd’hui.
Pas tous les fruits d’un coup,
puisque un bon moment après, voulant donner un autre type d’exemple à réaliser,
il se contenta, non de prendre une nouvelle feuille, mais de simplement
retourner la demie feuille qu’il avait déjà utilisée… Je ne sais plus si c’est
Krimo ou moi qui lui fit un signe clair vers le paquet de feuilles vierges en
attente… Il continua sans rien dire, sûr de lui, de plus en plus à l’aise avec
les jeunes qui l’affectionnaient déjà ; comme pour nous dire :
« foutez moi la paix, vous deux »…
Une leçon de simplicité. La leçon d’un homme humble et qui fait corps avec la
sobriété rayonnante et maîtrisée de son savoir-faire.
Abderrahmane
Djelfaoui
(Extrait de l’ouvrage collectif :
« Actuelles partitions pour tous jours. A la
mémoire de Mohamed Khadda »
Publié sous la direction de Naget Khadda.
Alger ; 2016)
l'Algérie , mère fêtant de valeureux enfants, d'hommes libres et de combattants dans tous les domaines .
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