Grand Musée ?
Oui, si l’on sait que cette
« institution royale» de 122 ans d’âge, se déploie sur une aire d’une
trentaine d’hectares ! (La surface au sol de la Tour Effel [d’un poids de
10 000 tonnes de fer d’Algérie] n’est que d’un hectare et demi….)
(photo : banner du Musée)
« Immense musée colonial» également si l’on
rappelle qu’il abrite des millions d’objets ramenés du Congo, un
territoire distant de 5779 kms de Bruxelles à vol d’oiseau:
soit 10 000 000 de spécimens d’animaux ; 250 000 échantillons minéraux ;
180 000 objets ethnographiques ; 57 165 échantillons de
toutes sortes de bois ; 20 000 cartes ; 8 000 instruments
de musique ; 350 fonds d’archives dont celles de l’explorateur et
aventurier anglo-américain Henry Morton Stanley (agent d’affaires sous contrat au
Congo non pour la Belgique mais pour le compte exclusif et personnel du roi
Léopold 2, lequel Léopold léguera d’ailleurs par testament le Congo à la
Belgique) [1]…
(photo: Jean Luc Flemal)
Ainsi la question de la décolonisation du musée
n’est pas de pure forme , d’autant que de son originelle
dénomination de « Palais des colonies » au 19 è siècle, il
passa à « Musée du Congo belge » ( en1908 après la mort de
Léopold 2) pour en rester en l’état plus
d’un demi-siècle pour se transformer en « Musée de l’Afrique centrale »
(en 1960) puis, après une longue fermeture pour des transformations coûteuses
en parallèle de débats politiques houleux,
se voir attribuer le nom de « AfricaMuseum » en 2018… Notables
changements dus au mouvement planétaire des décolonisations elles-mêmes…
Toutefois, malgré des changements dans l’organisation
du musée qui avait été au fil des décennies un réel « outil de propagande
colonial », le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU jugea que le
fond de ces transformations n’était pas suffisant…
Le musée fit alors à nouveau appel au peintre,
sculpteur et enseignant d’art contemporain Aimé Mpane, du Congo, travaillant
avec des galeries de New York, de Houston (Texas) et de Bruxelles ; un
artiste qui avait entre autres reçu le Prix de la
critique de la Fondation Jean Paul Blachère de DAK’ART à la Biennale de
Dakar en 2006 et la chance de se voir ouvrir une page entière du New
York Times…
Aimé Mpane devant «deux de ses « Icones
contemporaines », découpées, en 2012 (crédit : LACA)
L’artiste congolais fut invité à intervenir dans la rotonde du musée où
se trouvent élevées dans leurs niches 16
grandes statues d’inspiration coloniale. Ces statues ne pouvant pas être
déplacées, l’artiste africain devait créer un projet pour leur faire
« contrepoids »…
Aimé Mpane devant son œuvre « Le
Congo Bourgeonnant »
La statue créée par Aimé Mpane juste
« dessus » la couronne et armoiries du roi Léopold 2 incrustée au sol
dans le marbre…
C’est à ce stade du travail que l’artiste congolais fait appel au
peintre belge Jean Pierre Muller afin de pousser plus loin le travail critique
sur la représentation « royale » de la colonisation.
Jean Pierre Muller (critique des mégalopoles urbaines et de la société
de consommation) [2]est connu pour n’avoir cessé de croiser et fusionner les
techniques du dessin, sérigraphie, interventions gestuelles ou mécaniques et
collaborant même avec des musiciens (musicien lui-même) afin de permettre une
participation de sens plus directe du
public à ses créations picturales…
Jean Pierre Muller : Au-dessus de
Sao Paulo… [3]
Pour « court-circuiter » l’essentiel des effets grandiloquents,
paternalistes, faussement mystiques et/ou racistes des 16 statues
« indéplaçables » (« on ne peut changer le passé ») ,
Jean Pierre Muller et Aimé Mpane initient en tandem de nouvelles installations inédites,
en surimposition et contrapunctiques, par voiles légers et transparents tendant à remettre ces niches dans
l’histoire globale du colonialisme et en permettre une lecture libérée,
décapante…
Ci dessous: "L'image d’un para-commando à Stanleyville en 1964 lors de l’écrasement des dernières rebellions des Congolais, alors que la Belgique intervenait militairement hors de tout mandat… » [4]
« … La superposition des deux images permet de créer un
sens nouveau ». Jean Pierre Muller. [4]
Caricature d’époque tirée du magazine
satyrique londonien PUNCH mettant en cause la barbarie du roi Léopold 2 (un
serpent) par l’exploitation sans limite du caoutchouc au Congo qui fut la cause
de la misère et de la disparition de populations entières de la forêt tropicale
équatoriale au Congo…
[« les missions catholiques
sont l'un des principaux piliers de l'entreprise coloniale. Représentant Dieu
et la Belgique, le missionnaire a personnifié la supériorité spirituelle et
raciale de l'occupant »]
[« La charité commence par soi-même. L'homme d’habit en toile
était au sommet de la pyramide coloniale. Il contrôlait les âmes, dirigeait
l'éducation, dictait la morale et condamnait la nudité, la sorcellerie et les
rites. Tout ce dont il avait besoin pour porter au loin la Parole de Dieu était
de se laisser porter soi-même »]
Le tandem Jean Pierre Muller – Aimé Mpane
(toutes les photographies de ce travail
de tandem est signé : Maria Kisztina Nagy
C’est là, de la part de ces deux artistes contemporains un magistral
coup d’essai, même si leur action est limitée à une seule salle du Musée… Une action concertée, finement préparée et
exécutée qui comme le disait Jean Pierre Muller dans une émission radio :
« pour opposer le souple au dur, opposer la transparence à la dureté et
à la brutalité des images existantes… ». [4] Une installation qui est
une géniale restauration moderne et humaniste du regard, du sens de la
solidarité et de la mémoire…. L’exposition s’intitulant d’ailleurs RE/STAURE…
Elle me rappelle un passage du grand poète martiniquais Edouard
Glissant qui, à propos des esclaves d’Afrique mis en cales vers l’Amérique,
écrivait, de concert avec l’écrivain Patrick Chamoiseau en 2009 :
« Ce qui reste de ces anciens transbordés, ce limon des
abysses, c’est tous les mondes anciens qui ont été broyés jusqu’à donner vrai
lieu à une région nouvelle. Un monde qui avait laminé l’Afrique. Les Afriques ont engrossés des mondes au
loin. Cela manifeste et nous fait comprendre le Tout-monde, donné en tous,
valable pour tous, multiple dans sa totalité, qui se fonde sur dette rumeur des
abysses. Or la rumeur a quitté les fonds » [5]…
Abderrahmane Djelfaoui
Ain Naadja- Alger
Notes :
[1] sur la colonisation du Congo par
Léopold 2, lire le best-seller très documenté « Les fantômes du roi
Léopold. Un holocauste oublié », écrit par le journaliste américain Adam
Hochschild et paru chez Belfond, Paris, 1998.
[2]Voir son ouvrage
« Sagacity », 1997, présenté à Alger en 1999 lors d’une de ses expositions
de peintures au Palais de la Culture.
[3] voir le compte Facebook de
l’artiste : @jeanpierremuller7x7
[4]lien de l’émission radio
RTBF : https://www.rtbf.be/radio/liveradio/musiq3?rpAodUrl=http%3A%2F%2Frtbf-pod.l3.freecaster.net%2Frod%2Frtbf%2Fgeo%2Fopen%2FF%2FFSZY9kbQtV.mp3&rpSt=18&rpSrp=1.0&fbclid=IwAR2V-LKIkjDAnJHosc6tvbsDJbXMPI7qh7HQP67713Z2trSMu5puJP-pisw
[5] « L’INTRETABLE BEAUTE DU
MONDE. Adresse à Barack Obama ». Galaade
éditions, 2009, Paris
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire