« La guerre d’Algérie » a bien
eu lieu, puis elle a prit fin il y a plus de cinquante ans. L’aurait-on
oubliée?..
Qu’est-ce qu’un poète peut « écrire » de
cette guerre? La poésie peut-elle « saisir »l’évènement ? Peut-elle
le signifier ? Et nous-mêmes aujourd’hui qu’attendons-nous de tels écrits,
de tels vers ? Que sommes-nous prêts à entendre de ses chants ou de son
murmure?...
C’est ce serein défi que l’ anthologie (« Les
poètes et la guerre d’Algérie ») entend relever en nous la remettant « en perspective »; en nous remettant en mémoire quelques aspects
des solidarités de combat avec les humiliés : hommes, femmes, enfants,
histoire, paysages et principes…
Tout
commence par une photo en noir et blanc d’enfants d’Algérie, signée Jean Paul
Viau. Emouvante et simple reproduction d’une fillette au foulard noué sur la
tête qui porte un léger châle de laine blanche sur les épaules dont une fibule
(une broche berbère) retient les extrémités sous la gorge.
Le
titre du livre s’inscrit sur ce noir et blanc tel un fin nuage en bleu …
Une
photo qui est un pan d’histoire, un moment de présence précieuse. Comme si ce
souvenir du passé nous inondait du son profond du patrimoine. Notre patrimoine.
Image qui ne représente pourtant qu’une fillette et un garçon derrière elle ;-
s’ils sont encore vivants, ils auraient aujourd’hui atteint tous deux les
soixante dix ans ou plus…
Puis
une bonne poignée de pages de préface nous introduisent dans l’amitié de ce
livre. On nous rappelle par exemple qu’à
la fin des années 50 de jeunes poètes rassemblés autour de la revue
marseillaise Action poétique (celle qui édita un numéro spécial contre la
guerre d’Algérie en 1960), « pensaient
que la poésie pouvait et devait changer le monde ».
Le
préfacier qui fut enfant durant cette guerre, est un écrivain au long cours.
Poète, membre du conseil de rédaction de la revue Europe pendant une dizaine d’années, directeur des éditions Le temps des cerises, initiateur de
l’affichage de poèmes dans le métro parisien, traducteur, essayiste, critique
et journaliste, Francis Combes est aujourd’hui directeur de la Biennale
Internationale des Poètes du Val de Marne,- l’éditrice de l’ouvrage que nous
présentons. Francis Combes, soit dit en passant, est ce poète français dont un
recueil fut traduit à l’arabe par… Tahar Ouettar ! (« Errabi’ el azrek » : apprentis
du printemps- Aljahidhiya, Alger, 2009)
« Les
poètes et la guerre d’Algérie » s’étire sur plusieurs chapitres. Le
premier ouvre sur les poètes français contre la guerre. Le second est un
« Hommage à Maurice Audin ». Le troisième est consacré à 13 poètes
algériens (1954-1962). L’avant dernier chapitre présente quatre poèmes traduits
de l’arabe. Le dernier, enfin, un poème traduit du kabyle et des boqalat. Suit
un index des quarante quatre poètes du recueil avec une courte biographie pour
chacun. Un travail soigné et méritoire qu’on aurait aimé voir dans quelques
vitrines de nos librairies, pour le plaisir de le feuilleter, l’acheter et
l’offrir à nos ados…
Pour
un premier envoi, nous choisissons choisissons quelques poètes français en
« éclaireurs ». [Revenir plus tard sur la suite….]
Le
premier poème qui ouvre l’ouvrage est de 1952…
L’aube
comme un cheval
Se
mit sur les genoux
Devant
nous
Alger se leva
L’Afrique
à sa fenêtre
Nous
regardait entrer
Je
ne venais pas comme un frère
J’étais
en uniforme […]
Le
poème est signé de Jacques Dubois, officier de réserve durant la guerre
d’Algérie et qui fut insoumis…
Le
second, d’Alain Guérin, relate l’assassinat de l’Algérien Belaid Hocine, le 28
mai 1952 lors de la manifestation contre la venue à Paris du général américain
Ridgway…
Suivent
les vers de la journaliste Madeleine Riffaud, résistante à 18 ans, journaliste
de la guerre d’Algérie et du Vietnam, qui ont la transparence de l’éternel.
Madeleine Riffaud et Picasso en 1956
On les tue par le feu, l’eau, l’électricité
Eux
qui vécurent loin des sources
En
rêvant d’eau toute leur vie
Eux
qui grelotaient, sans charbon
Au
soleil glacé du Mouloud.
Eux
qui veillaient sans lumière
Au
fond d’un bidonville obscur
La
première fois qu’il vit
De
près
Une
baignoire
Fut
le dernier jour de sa vie (écrit-elle en septembre 1955)
Elle
qui durant la résistance au nazisme avait pris les armes puis avait écrit un
poème resté fameux dans les annales de la poésie de résistance :
« Neuf balles dans mon chargeur
Pour venger tous mes frères
Ça fait mal de tuer
C’est la première fois
Sept balles dans mon chargeur
C’était si simple
L’homme qui tirait l’autre nuit
C’était moi »
« Femmes avec fusils »
Suit un
poème d’Aragon, « … Il rêve à l’Algérie », extrait du Roman inachevé
(1956).
Puis
« Pour la paix » de Maurice Cury :
[…]
Ils nous offrirent des décombres
Et
la mort à pleines brassées
Nos
tout puissants ministres de la peur
Nos
anciens guerriers nostalgiques
Désiraient
que nous devinssions
Des
tueurs et des tortionnaires
Contre
les peuples opprimés
Qui
désiraient leur liberté […] (octobre
56)
Puis
ce magnifique extrait d’un poème d’Henry Deluy :
[…]
C’est
pourquoi
Nous
pour qui la parole est un acte
Nous
avons fait notre choix parmi les mots
Parmi
les plus abstraits
Les
plus difficiles
Ensemble
nous avons mis la paix
dans nos projets d’avenir
Au
devant de la porte
Ensemble
nous avons mis la Paix dans l’immédiat
Dans
l’armoire quotidienne
Avec
le linge des enfants.
(in
la revue Action Poétique, 1960)
Le spécial « guerre d’Algérie », n° 12, de
décembre 1960 (on y reconnait le nom d’anna Gréki)
Mais que peut la poésie, contre la
guerre ?
La
poésie est peut être comme l’eau des ablutions qui sert à « ouvrir »
l’être à la Prière. Celle de la paix. Celle de la reconnaissance de l’Autre.
Celle qui aide à ne pas perdre pied dans les moments horribles et, comme une plante,
croit au changement, appelle ce changement, participe à le réaliser. Avec peu.
Et peu à peu…
Voilà
ce qu’écrit Gabriel Cousin, un poète que Claude Roy aida à publier son premier
recueil…
La
femme de Maurice Audin regarde le silence. Djamila Bouhired écoute le ciel
chaque matin
Et
vous mon cher collègue ?
Oh !
Moi, vous savez à Pâques cette année j’ai choisi la Toscane. La terre de Sienne
n’est pas encore si rouge que cela !
Et
vous ?
La
misère espagnole est si curieuse….
Et
vous ?
La
truite. La truite. Le silence. Les cheveux de l’eau. Une connaissance lente et
fidèle comme pour une femme….
Ah !
Quand donc les gens de mon pays… les braves gens, bien sûr… recevront-ils la
petite semence de l’inquiétude qui fait lever l’intolérable angoisse de
l’injustice
Et
ainsi de suite, des poètes femmes, des poètes hommes, vont de constat en
dénonciation, de colère en étonnement, d’invocation
en espoir à main solidaire sur prés de 170 pages ; ces pages qu’on respire
et respire encore un demi siècle après ces longues et terribles années que les
responsables nommaient « les évènements » pour ne pas dire et laisser
dire que c’était la guerre ….
Abderrahmane Djelfaoui
·
Les
poètes et la guerre d’Algérie. Biennale internationale des Poètes du Val de Marne.
Collection « Ecrire l’évènement ».2012.
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