Dans
nos métropoles devenues surpeuplées, bruyantes, avares de bon sens et
d’humanité, nous survivons avec la morsure inquiète que le climat n’est plus ce
qu’il était. Que le temps de la vie déraille au point d’en perdre la boussole,
perdre le rythme nourricier de ses saisons et peser sur nous tous telle une
menace…
Et
pourtant ! D’une nuit pas tout à fait noire à son lendemain frissonnant de
nuages la poésie chaque printemps est au
rendez-vous, même si elle donne l’impression d’être inattendue. Une poésie
fragile certes mais plurielle, comme les feuilles des arbres et des fleurs
qu’on ne peut pas compter sur les seuls doigts des deux mains. Cette poésie neuve
et lumineuse dont nous nous doutons bien du bout de la langue qu’elle ne durera
que ce que dure un tour de chant, un tour de danse, un amour ou sa brûlante passion…
Mais
qu’à cela ne tienne ! Ce sera à refaire, reprendre et renouveler d’une
autre façon…
Ainsi saviez-vous qu’à
Alger, ce 19 mars des Victoires, dans une grande salle aux plafonds hauts avec
une trouée lumineuse vers le ciel, un grand rassemblement inédit de poètes s’était
déroulé sans autre service d’ordre que des micros baladeurs ?.. Que de la
convivialité aérée qui embaumai la salle émanait le féérique sentiment d’être
« ailleurs » tout en étant bel et bien ici et pour une fois tout à
fait à l’aise ?..
LE CAFE DES POETES
Incroyable, mais
ils et elles sont venu(e)s de Belcourt, de Hydra, de Ain Naadja, des collines
du Sahel algérois, de Blida, de Tizi Ouzou, de Ain Sefra et exceptionnellement même
d’Italie pour être à un rendez vous animé par Narriman Zehor Sadouni de la
Chaine 3… Chacun est venu selon ses moyens, en voiture, en taxi, en train, à
pied… L’information sur tous supports et principalement les réseaux sociaux
avait été menée des jours et des jours durant pour aboutir à ce souk
bienheureux de poètes, de chanteurs, slameurs, musiciens, écrivains, éditeurs,
plasticiens, enseignants, journalistes, animateurs de jour ou de la nuit… Un
rendez vous prévu pour deux heures (ce qui est un honorable challenge) mais qui s’est agréablement
étiré au-delà de trois bonnes heures…
Générations poétiques : voix multiples et
continues
Trois heures qui
auront à peine suffit pour évoquer et (re)gouter des vers de poètes disparus,
poètes de toujours : les Mohamed Dib, Jean Sénac, Anna Gréki, Si Mohan u
Mhand, Bachir Hadj Ali, Tahar Djaout, Youcef Sebti, Ahmed Azeggah, Djamel Amrani, Assia Djebar…
Poètes déclamés par les voix multiples et croisées de Leila Boukli, Rachida
Moncef, Samira Chouadria, Narriman Zhor Sadouni, Djamel Senhadri, Saliha
Imekraz, Lazhari Labter, Abderrahmane Djelfaoui… Et à défaut de pouvoir les « faire
intervenir » tous, des dizaines de noms et photos noir et blanc défilaient
sur l’écran du Café des Poètes, une
salle devenue un havre d’étonnements et de bonne humeur en cette fin d’hiver.
Un généreux retour de la poésie qui donnait à cette rencontre festive une
tendresse de jasmin et une rumeur de vagues fortes et d’embruns venus du fond
des horizons pour nous accompagner, nous vivifier…
Rachida
Moncef et Samira Chouadria lisant Mohamed Dib à deux voix…
Saliha Imekraz déclamant
Assia Djebar
D’ailleurs de ce
lointain horizon, Nourredine Tidafi (pour ne citer que cet illustre devancier) n’écrivait-il
pas déjà durant les années de guerre :
« Je
viens de l’olivier humilié, entré dans sa revanche
Je viens d’Aïn-Naga
l’insoupçonnée, de Palestro
Je viens de tes fruits renversés, de tes colères éblouissantes bourdonnant sur ses malheurs virils...
O Algérie, fille de toutes les syllabes rebelles!
[…] Je viens de Berrouaghia, de Nemours, de Lambèse
[…] Algérie,
Algérie toute gorgée d’angoisses
[…] Je viens de Cherchell par la porte
terrifiée
Je viens de Tizi Ouzou la Haute, présente comme un reproche
Je viens de Tlemcen avancée sur ses mains affamées
Je viens
du Silence du sud, des douleurs citadines…
Je viens des Aurès lyriques, de
l’honneur réalisé ! ».
Un Tidafi que l’on
retrouvera longuement cité par Jean Sénac dans « Le Soleil Sous les Armes
(Eléments d’une Poésie de la Résistance 1Algérienne) », Subervie, 1957…
Le poète et éditeur Lazhari Labter
déclamant le célèbre poème « Serment » de
Bachir Hadj Ali
Et comme en écho Bachir
Hadj Ali le jeune, Bachir Hadj Ali le vieux, Bachir Hadj Ali le sage nous chantonne
quelques vingt ans plus tard une courte portée sur une page de « Mémoire
clairière »:
« Ici le feu
s’allume
Ici l’eau vagabonde
Ici l’air se
raréfie
Ici la vérité se
terre
Pour veiller sur la
vie »….
Le poète gênois Claudio Pozzani,
également romancier et musicien de rock,
lors de sa déclamation au Café des poètes.
Djoher Amhis
Ali El Hadj Tahar
qui présenta son anthologie de la poésie algérienne (2008) lisant ses propres
poèmes
Et alors que nous
naviguions poétiquement et musicalement (avec un guitariste, les chanteurs
Tagrawla et Aziz Alem, des musiques célèbres des génériques d’émissions telle
celle de Djamel Amrani empruntée à Eric Satie), j’apprenais qu’en une autre
métropole du grand pays, le public averti d’Oran réservait une écoute
chaleureuse et enthousiaste au récital d’ une de nos belles poétésses, Zineb
Laouedj qui y déclamait en algérien, en fousha
et en français sa poésie en hommage, entre autres, à Abdelkader Alloula…Théâtre
et poésie, un autre croisement de destins et de pratiques vives de l’art bien
de chez nous… Ce qui me rappelle à cette occasion la voix de M’Hamed Djellid,
compagnon de Alloula, qui écrivait dans son recueil « Plaies » (SNED
1970) :
« Rire… Rire…
Rire d’espérance !
Tu nous donnes de l’endurance
Et tu calmes nos
souffrances
Immenses…
immenses »…
Peut être ailleurs
aussi en d’autre villes, d’autres évocations d’autres voix valeureuses de notre
patrimoine et du patrimoine poétique universel s’élevaient-elles ici et là pour
amplifier l’onde d’endurance de ce jour pathétique où l’histoire somma l’arrêt
victorieux d’une guerre. Certainement….
JEUNES VOIX DE MAINTENANT : FORETS
D’AVENIR
Beaucoup de poètes
donc à cette rencontre, mais aussi beaucoup de poètes qui n’avaient pu y être. Parmi
les jeunes espoirs présents, femmes et hommes, c’est d’abord la multiplicité
des tons, celle des différences et des multiples niveaux de créativité qui
poussent à l’écoute et à l’étonnement. A applaudir même. Bien entendu, tout
comme chez leurs ainés, tout n’est pas parfait dans leurs travaux et est même
loin de l’être. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est dans la tendance
générale à une expression libérée des platitudes… Avec du nerf, du punch, de
l’inédit, des croisements de pratiques diverses, quelles que soient les
langues : derja, tamazight,
arabe classique, ou français…
"Rabbi Y Khellik"...
La moitié des trois
bonnes heures ont à peine suffi à entendre des poétesses et des poètes de moins
de 30 ans, (excusez-moi de n’avoir pas noté leurs noms, mais on en reparlera
très certainement bientôt), jeunes patients d’impatience fraîche et piaffante
comme les vents tournants du printemps. Des jeunes lancés sans complexe dans la
bataille des symboles, l’ivresse du rythme, l’utopie, le rire, le défi, la
provoc, la gentillesse, l’amour…Certains en petit groupe ont relevé le défi
(pas évident du tout) d’interpréter des morceaux de poésie de Jean
Sénac mort en 1973 avant même le mariage de leurs parents!
Poétesse
« descendue « de Tizi Ouzou sur Alger
et repartie avant
même la clôture
pour ne pas rater
son transport
Jeune poète déjà
illustre
puisque lauréat
d’un concours international de slam
où son talent et son humour lui ont permis de
remporter le premier prix
Etudiant en
médecine en rupture de banc.
Un passionné fou
de poésie et d’art thérapie
amené à faire la
fac buissonnière pour chanter Alger.
Il défie le
public du Café des poètes qu’il sera Prix Nobel de littérature en 2050….
Parole donnée...
... élévée et amplifiée...
D’autres encore,
bien sur, dont ce petit article n’est qu’un coup de cœur, un remerciement à la
fraicheur de la jeunesse, sa franchise et son franc parlé.
Dire quand même
avant de se quitter que cette rencontre du Café
des poètes, enregistrée sur 3 heures, sera diffusée intégralement sur les
ondes de la chaine 3 le vendredi
25 mars à 15h. « C'est une
première, s’exclame l’animatrice Narriman Zehor Sadouni.
La poésie reconquiert son territoire »…
Abderrahmane
Djelfaoui, textes et photos
voir: @AbderrahmaneDjelfaouiMaPMoesie
voir: @AbderrahmaneDjelfaouiMaPMoesie
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