Acte premier: MON REGARD
Appréhender une
exposition de Djahida Houadef c’est comme essayer de capter le vent dans le
feuillage d’un songe…
Comment le dire
autrement ? « Autrement parler » de ses couleurs, de ses
motifs floraux, des silhouettes attachantes de femmes arquées et voilées qui
vous regardent comme dans un jeu sympa de clin d’œil… Enfin parler de ces fines
lignes en à plat qui innervent ses toiles de façon simple, sobre et
douce ; qui les cadrent et recadrent; ces lignes qui viennent avec
régularité rehausser le tout ou une de ses parties comme mousse de vaguelette
sur la plage du soupir ?..
Puis-je « autrement
dire » ce que je vois et ressens de
sa peinture qui a toujours comme un air de hasard ?
"Naitre avec le printemps"
D’autant qu’il y a
tout ce travail que j’appellerais « travail en diagonale » qui est
celui des mots mis en lignes pour légender ses toiles. Ainsi :
« Ton envol est le notre », pour deux femmes, un papillon, les pieds
nus des dames, le soleil couchant et des silhouettes d’oiseaux à l’horizon…
« Ton envol est le notre », dit-elle…
Puis sur un même
motif à peine transposé (les deux dames, le soleil, le papillon, etc.) la
légende devient déclamation : « Sur tes ailes je peindrais les
étoiles », écrit-elle…
"Naitre avec le printemps" (détail)
Cette toile, comme
les autres de cette exposition « Flâneries » (organisée à la galerie
Ezzou’art du 23 avril au 13 mai) sont de taille moyenne, à échelle humaine,
autrement dit on n’a pas besoin de reculer pour sentir et com-prendre, bien au contraire… Ces toiles sont presque comme un
livre aimé dont on caresserait la couverture tout en étant « perdu »
dans une de ses séquences de lecture, imaginant déjà la séquence à venir…
Je dois dire que
même quand le texte de la légende suggère le drame (« Moments difficiles,
couleurs indélébiles »), le plaisir est encore et toujours aérien et
virevoltant. Comme une ombre de vent dans le parterre d’un jardin… Ou le son
d’un envol à l’oreille sans la possibilité de voir les ailes du volatile qui se
sont furtivement déployées… Alors ?...
Alors on poursuit ces
flâneries plurielles d’une toile à
l’autre, pour en revenir (entre autres) à cette « Olivaison ». Une
corbeille d’osier pleine d’olives qui viennent d’être ramassées. Tout un
programme dont l’artiste (quelle inspiration à ce moment précis) a un rien
ombré les teintes, laa clarté, la force d’arrachage et la vivacité d’être en
extérieur…
Et
« Bouchaoui » ? L’artiste nous suggère-t-elle par un sac débordant
de glands et feuilles debout qui jonchent la base de sa toile la célèbre foret
des environs d’Alger? Ou suggère-t-elle plutôt les temps « difficiles,
couleurs indélébiles » d’une autre histoire, lointaine, qui quoique
finie nous marque et malaxe encore de ses résidus délétères ?..
Quoi qu’il en soit
on laisse faire le pschitt des
sentiments et de l’affect. On se laisse surprendre. On y va, presque comme dans
un déjà vu rêvé… Une vue captée au-delà du sommeil ou de tout éveil mais dans
le meilleur de sa forme conjuguée au sourire…
Acte
2 : LA GALLERISTE
Amel
Benmohamed, Galériste Ezzou’art (photo
Abderrahmane Djelfaoui)
« Je travaille
dans la galerie du centre commercial Bab Ezzouar, depuis un an et demi dit Amel
Benmohamed. J’ai été recrutée pour détecter et exposer de jeunes talents et
artistes (souvent qui n’ont pas encore terminés leurs études tel Slimane Sayoud,
ou n’ont pas suffisamment de travaux) qui peuvent y exposer à titre gracieux sans
que nous prenions aucun pourcentage sur les ventes. La galerie offre à ce titre
un vernissage, un flyer et une affiche. Le PDG du centre, monsieur Roland, tient à ce que cela soit une aide aux
artistes. Le Directeur est monsieur Haddad.
« Pour ce qui
est de la plasticienne Djahida son travail me plait beaucoup. Je la suis depuis
l’Ecole des beaux-arts où elle avait fait ses études longtemps avant moi et où
moi même j’ai fini en 2007. Notre prof de peinture, Yahia Abdelmalek me parlait
d’elle, m’incitant à visiter ses expositions. Aujourd’hui c’est vraiment un
honneur de la voir exposer ici dans cette galerie.
« J’aime son
travail parce qu’il y a des couleurs
très vives, des compositions intéressantes et différentes en même temps on a
l’impression que les tableaux ne se suivent pas et que chacun d’entre eux a sa
propre histoire…
« En fait en
regardant les toiles de Djahida, c’est pour moi une évasion. On a l’impression
qu’elle peint des fleurs, mais ces fleurs sortent de l’ordinaire. Elles sont
très stylisées, comme les personnages ou les paysages élevés avec des couleurs
très intéressantes. En regardant ces
peintures, on se dit tout de suite que ce sont les peintures de Djahida. Elle a
réussi à avoir un style propre à elle. C’est son monde, sa manière…. »
Je
pose tout de go à Amel Benmohamed : Mais est-ce que vous avez l’impression
de comprendre, sentir et partager son travail artistique ?
« Comprendre,
oui. Mais c’est très personnel. Je ne pourrais pas vous dire que je comprends
le tout, mais j’arrive à avoir de ces peintures une lecture qui est propre à
moi… »
« Panoplie
d’essences rares », 65X50cm. Technique mixte sur papier 2013
Acte
3 : DJAHIDA HIMSELF
« …Pour la
manière de concevoir la peinture en tant que projet préalable à l’œuvre, de manière
conceptuelle, je dis non. C’est vrai que lorsque j’avais fini mes études, au
début de ma carrière, peindre était un projet qu’il fallait monter pour en
faire sortir les images à tout prix…
« Mais avec le
temps, avec l’âge mon travail artistique devient quelque chose de naturel. [Comme une communication avec toi-même, je
lui dis] Exactement ! Une communication avec moi-même. J’essaie … En
fait je n’essaie même pas, quand je peins c’est spontané. Quand je fais sortir
des choses de moi-même ce n’est pas calculé. Il y a des choses et des thèmes
qui captent mon attention ; je me dis : tiens, c’est ça… Je reste
dans ce canal en le libérant. Je le libère de mon intérieur pour qu’il foisonne
et sorte de ses sillons… »
Justement,
on a l’impression que ce sont les mêmes éléments qui reviennent, des éléments
floraux, des papillons, des femmes sveltes et aguichantes avec des coloris
particuliers parmi lesquels les jaunes, les bleus, les rouges un peu
atténués…Alors, je lui demande ?
« Oui, c’est
un monde qui revient à chaque fois, à chaque instant et qui me fait rappeler un
peu l’art musulman. Tout comme les derviches tourneurs, leur musique est dans
la répétition. Mais une répétition qui est rythmée et fait que la musique n’est
pas la même ni la danse tout à fait la même danse. C’est la même chose pour une
chaine. On croit que ses anneaux sont tous les mêmes mais en fait chacun de ses
anneaux raconte une histoire particulière. Chaque anneau est une sphère, un
monde en soi. Ma peinture est justement proche de ce monde là, le monde
musulman où il y a ce type de répétition.
« Et de cette
répétition nait pour moi un apaisement spirituel. »
« Comme une
communication avec moi-même ». (Photo Abderrahmane Djelfaoui)
Le texte du flyer distribué à l’exposition est tout
aussi explicite : « ….Elle vit dans un monde et en peint un autre.
Cet autre monde a toujours équilibré, équilibre et équilibrera de ce fait sa
vie, à laquelle d’ailleurs, elle ne changera même pas un grain, absolument
rien, elle garderait volontiers ces moments de privilège d’être dedans,
totalement dedans, dans un état d’extase, où elle cherche les traces et les
sensations d’un vécu afin d’en laisser d’autres… »
Abderrahmane
Djelfaoui
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