lundi 25 avril 2016

Djahida Houadef plasticienne en trois actes



Acte premier: MON REGARD

Appréhender une exposition de Djahida Houadef c’est comme essayer de capter le vent dans le feuillage d’un songe…
Comment le dire autrement ? « Autrement parler » de ses couleurs, de ses motifs floraux, des silhouettes attachantes de femmes arquées et voilées qui vous regardent comme dans un jeu sympa de clin d’œil… Enfin parler de ces fines lignes en à plat qui innervent ses toiles de façon simple, sobre et douce ; qui les cadrent  et recadrent; ces lignes qui viennent avec régularité rehausser le tout ou une de ses parties comme mousse de vaguelette sur la plage du soupir ?..

Puis-je « autrement dire » ce que  je vois et ressens de sa peinture qui a toujours comme un air de hasard ? 


"Naitre avec le printemps"

D’autant qu’il y a tout ce travail que j’appellerais « travail en diagonale » qui est celui des mots mis en lignes pour légender ses toiles.  Ainsi : « Ton envol est le notre », pour deux femmes, un papillon, les pieds nus des dames, le soleil couchant et des silhouettes d’oiseaux à l’horizon… « Ton envol est le notre », dit-elle…
Puis sur un même motif à peine transposé (les deux dames, le soleil, le papillon, etc.) la légende devient déclamation : « Sur tes ailes je peindrais les étoiles », écrit-elle…

 "Naitre avec le printemps" (détail)

Cette toile, comme les autres de cette exposition « Flâneries » (organisée à la galerie Ezzou’art du 23 avril au 13 mai) sont de taille moyenne, à échelle humaine, autrement dit on n’a pas besoin de reculer pour sentir et com-prendre, bien au contraire… Ces toiles sont presque comme un livre aimé dont on caresserait la couverture tout en étant « perdu » dans une de ses séquences de lecture, imaginant déjà la séquence à venir…
Je dois dire que même quand le texte de la légende suggère le drame (« Moments difficiles, couleurs indélébiles »), le plaisir est encore et toujours aérien et virevoltant. Comme une ombre de vent dans le parterre d’un jardin… Ou le son d’un envol à l’oreille sans la possibilité de voir les ailes du volatile qui se sont furtivement déployées… Alors ?...
Alors on poursuit ces flâneries plurielles d’une toile à l’autre, pour en revenir (entre autres) à cette « Olivaison ». Une corbeille d’osier pleine d’olives qui viennent d’être ramassées. Tout un programme dont l’artiste (quelle inspiration à ce moment précis) a un rien ombré les teintes, laa clarté, la force d’arrachage et la vivacité d’être en extérieur…
Et « Bouchaoui » ? L’artiste nous suggère-t-elle par un sac débordant de glands et feuilles debout qui jonchent la base de sa toile la célèbre foret des environs d’Alger? Ou suggère-t-elle plutôt les temps « difficiles, couleurs indélébiles »  d’une autre histoire, lointaine, qui quoique finie nous marque et malaxe encore de ses résidus délétères ?..
Quoi qu’il en soit on laisse faire le pschitt des sentiments et de l’affect. On se laisse surprendre. On y va, presque comme dans un déjà vu rêvé… Une vue captée au-delà du sommeil ou de tout éveil mais dans le meilleur de sa forme conjuguée au sourire…

Acte 2 : LA GALLERISTE

Amel Benmohamed, Galériste Ezzou’art  (photo Abderrahmane Djelfaoui)



« Je travaille dans la galerie du centre commercial Bab Ezzouar, depuis un an et demi dit Amel Benmohamed. J’ai été recrutée pour détecter et exposer de jeunes talents et artistes (souvent qui n’ont pas encore terminés leurs études tel Slimane Sayoud, ou n’ont pas suffisamment de travaux) qui peuvent y exposer à titre gracieux sans que nous prenions aucun pourcentage sur les ventes. La galerie offre à ce titre un vernissage, un flyer et une affiche. Le PDG du centre, monsieur Roland,  tient à ce que cela soit une aide aux artistes. Le Directeur est monsieur Haddad.
« Pour ce qui est de la plasticienne Djahida son travail me plait beaucoup. Je la suis depuis l’Ecole des beaux-arts où elle avait fait ses études longtemps avant moi et où moi même j’ai fini en 2007. Notre prof de peinture, Yahia Abdelmalek me parlait d’elle, m’incitant à visiter ses expositions. Aujourd’hui c’est vraiment un honneur de la voir exposer ici dans cette galerie.
« J’aime son travail parce qu’il y a des   couleurs très vives, des compositions intéressantes et différentes en même temps on a l’impression que les tableaux ne se suivent pas et que chacun d’entre eux a sa propre histoire…
« En fait en regardant les toiles de Djahida, c’est pour moi une évasion. On a l’impression qu’elle peint des fleurs, mais ces fleurs sortent de l’ordinaire. Elles sont très stylisées, comme les personnages ou les paysages élevés avec des couleurs très intéressantes.  En regardant ces peintures, on se dit tout de suite que ce sont les peintures de Djahida. Elle a réussi à avoir un style propre à elle. C’est son monde, sa manière…. »

Je pose tout de go à Amel Benmohamed : Mais est-ce que vous avez l’impression de comprendre, sentir et partager son travail artistique ?
« Comprendre, oui. Mais c’est très personnel. Je ne pourrais pas vous dire que je comprends le tout, mais j’arrive à avoir de ces peintures une lecture qui est propre à moi… »

« Panoplie d’essences rares », 65X50cm. Technique mixte sur papier 2013



Acte 3 : DJAHIDA HIMSELF

« …Pour la manière de concevoir la peinture en tant que projet préalable à l’œuvre, de manière conceptuelle, je dis non. C’est vrai que lorsque j’avais fini mes études, au début de ma carrière, peindre était un projet qu’il fallait monter pour en faire sortir les images à tout prix…
« Mais avec le temps, avec l’âge mon travail artistique devient quelque chose de naturel. [Comme une communication avec toi-même, je lui dis] Exactement ! Une communication avec moi-même. J’essaie … En fait je n’essaie même pas, quand je peins c’est spontané. Quand je fais sortir des choses de moi-même ce n’est pas calculé. Il y a des choses et des thèmes qui captent mon attention ; je me dis : tiens, c’est ça… Je reste dans ce canal en le libérant. Je le libère de mon intérieur pour qu’il foisonne et sorte de ses sillons… »
Justement, on a l’impression que ce sont les mêmes éléments qui reviennent, des éléments floraux, des papillons, des femmes sveltes et aguichantes avec des coloris particuliers parmi lesquels les jaunes, les bleus, les rouges un peu atténués…Alors, je lui demande ?
« Oui, c’est un monde qui revient à chaque fois, à chaque instant et qui me fait rappeler un peu l’art musulman. Tout comme les derviches tourneurs, leur musique est dans la répétition. Mais une répétition qui est rythmée et fait que la musique n’est pas la même ni la danse tout à fait la même danse. C’est la même chose pour une chaine. On croit que ses anneaux sont tous les mêmes mais en fait chacun de ses anneaux raconte une histoire particulière. Chaque anneau est une sphère, un monde en soi. Ma peinture est justement proche de ce monde là, le monde musulman où il y a ce type de répétition.
« Et de cette répétition nait pour moi un apaisement spirituel. »

« Comme une communication avec moi-même ». (Photo Abderrahmane Djelfaoui)

Le texte du flyer distribué à l’exposition est tout aussi explicite : « ….Elle vit dans un monde et en peint un autre. Cet autre monde a toujours équilibré, équilibre et équilibrera de ce fait sa vie, à laquelle d’ailleurs, elle ne changera même pas un grain, absolument rien, elle garderait volontiers ces moments de privilège d’être dedans, totalement dedans, dans un état d’extase, où elle cherche les traces et les sensations d’un vécu afin d’en laisser d’autres… »


Abderrahmane Djelfaoui

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