Hier je dinais avec Jérôme Ferrari. Hier aussi je lisais « Où
j’ai laissé mon âme », alors que je ne connaissais presque rien de cet
écrivain.
Hier donc je dinais avec lui en compagnie de Kamel Daoud et
quelques autres convives… J’étais non pas étonné mais comme peut l’être un moi ayant
deux systèmes oculaires presque indépendant l’un de l’autre : celui qui
avait densément lu le roman et celui qui, ailleurs, échangeait quelques phrases sur une terrasse dominant
la baie. Sous une ronde et éternelle lune méditerranéenne…
Un jeune homme très décontracté, pince sans rire, fébrile… Alors
que je croyais… Je croyais, à première lecture, ce roman comme sorti des
atmosphères du plus fort, du plus terrible du roman noir… Celui de la tragédie,
irrémédiable et dégueulasse… Lui : un enseignant un peu à la bourre (ayant même ramené des copies
à corriger dans ses bagages) et qui fait des jeux de mots sympas, intelligents,
pour décompresser, un verre à la main…
Alors ? Je veux dire : quel lien entre cet être
humble et plein de vie et ce roman de l’atroce mené de main de maitre, sans sourciller,
trembler ni même hésiter ?
Alors ? entre le hasard de la lecture d’un roman (qui
vous tombe entre les mains, comme le ciel dans le puits des yeux , du cœur) et
le hasard de la rencontre de son auteur, de celui qui l’a conçu, porté, écrit,
réécrit peut être et polit jusqu’à l’ultime pulsation de l’aorte… quel lien ?
Que celui du « hasard » de la vie.
L’hasardeuse nécessité de lire. Noir sur noir. Comprendre
aussi, mais par un rai d’intelligence du cœur des années après. Que dis-je !
Des décennies quand le sang (le sang de la guerre, ses fleuves, ses cataractes…)
ne se sont pas totalement encore dissouts dans la nature sociale, comme se dissout si naturellement un moment ou l’autre
tout mirage des sables…
Bien sur, je ne suis pas un critique littéraire et me garde
et garderais bien de vouloir l’être. Juste que le roman m’a touché, remué. Je
ne m’y attendais pas. Un roman d’ici qui me venant génétiquement des
labyrinthes d’ombres et lumières de l’Ile de la Beauté, de Corse. Ferrari.
Jérôme Ferrari, pour ajouter à la lame de la tragédie, son implacabilité de
langue. Sa justesse.
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