lundi 14 avril 2014

"Où j'ai laissé mon âme", de Jérôme Ferrari



Hier je dinais avec Jérôme Ferrari. Hier aussi je lisais « Où j’ai laissé mon âme », alors que je ne connaissais presque rien de cet écrivain.

Hier donc je dinais avec lui en compagnie de Kamel Daoud et quelques autres convives… J’étais non pas étonné mais comme peut l’être un moi ayant deux systèmes oculaires presque indépendant l’un de l’autre : celui qui avait densément lu le roman et celui qui, ailleurs,  échangeait quelques phrases sur une terrasse dominant la baie. Sous une ronde et éternelle lune méditerranéenne…  

Un jeune homme très décontracté, pince sans rire, fébrile… Alors que je croyais… Je croyais, à première lecture, ce roman comme sorti des atmosphères du plus fort, du plus terrible du roman noir… Celui de la tragédie, irrémédiable et dégueulasse… Lui : un enseignant un  peu à la bourre (ayant même ramené des copies à corriger dans ses bagages) et qui fait des jeux de mots sympas, intelligents, pour décompresser, un verre à la main… 

Alors ? Je veux dire : quel lien entre cet être humble et plein de vie et ce roman de l’atroce mené de main de maitre, sans sourciller, trembler ni même hésiter ?

Alors ? entre le hasard de la lecture d’un roman (qui vous tombe entre les mains, comme le ciel dans le puits des yeux , du cœur) et le hasard de la rencontre de son auteur, de celui qui l’a conçu, porté, écrit, réécrit peut être et polit jusqu’à l’ultime pulsation de l’aorte… quel lien ? Que celui du « hasard » de la vie. 

L’hasardeuse nécessité de lire. Noir sur noir. Comprendre aussi, mais par un rai d’intelligence du cœur des années après. Que dis-je ! Des décennies quand le sang (le sang de la guerre, ses fleuves, ses cataractes…) ne se sont pas totalement encore dissouts dans la nature sociale, comme se dissout si naturellement un moment ou l’autre tout mirage des sables…

Bien sur, je ne suis pas un critique littéraire et me garde et garderais bien de vouloir l’être. Juste que le roman m’a touché, remué. Je ne m’y attendais pas. Un roman d’ici qui me venant génétiquement des labyrinthes d’ombres et lumières de l’Ile de la Beauté, de Corse. Ferrari. Jérôme Ferrari, pour ajouter à la lame de la tragédie, son implacabilité de langue. Sa justesse.

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