Si tu tiens à décrire, décris les vents
Pierre
Dhainaut
Entrées en
échanges - ed. Arfuyen- 2005
Comment peut-on ?...
La question m’est venue sans la chercher ; elle m’a
effleuré. Simple déclic…
Car c’est «comment ?» que de partir de Annaba (ex Bône, ex Hippone d’un certain Saint Augustin) pour aller se balader dans une ville jumelée, Dunkerque, ville du Nord-Pas-De-Calais faire une résidence pour happer d’un regard «du Sud lointain» son évidence du jour, l’évidence de son air, ses airs, ses plages sans fin aux hautes dunes de sable ainsi que les étraves et poupes des tankers venus des quatre coins de l’univers comme des quais rappelant les pavés ronds des trams et autres rencontres de hasard au point d’en être en fin de jour surchargé de coquillages pleins de rumeurs ; leur senteur d’iode nostalgique, sableuse et bienfaisante ..
[…] « Je m’assoie
face à la mer toile mauve ridée, un porte container lutte au loin contre la
houle. Derrière moi la ville, amas de maisons colorées, s’illumine peu à peu
comme une fête foraine » écrit d’un aveu d’affection El Hadi Hamdikène…
Un aveu chargé autant
de la fascination d’enfance pour les belles bagnoles américaines que d’un goût certain
pour de longs et mûrs voyages cinéphiles à la
« Paris-Texas » d’un Wim Wenders pas si loin lui non plus de la
ligne Dunkerque-Ostende…
Voilà « comment » on en vient (mais est-ce bien
certain?) à faire de la photographie. A faire ces tranquilles photographies écrites d’encre et lumière…
Ceci dit : est-ce que le «comment » aurait au
final une valeur prééminente quand l’écho même de la question ne vaut plus que
par la trace d’y avoir été, à Dunkerque (nom lourd-léger comme un vol de
mouette), face aux diffuses lumières de
Brighton, ses palais, ses vents et y
avoir tracé un vécu, un sillage
d’impressions et d’amitiés avec le sentiment à la fois vrai et un peu puérile
que « tout ça » c’est aussi un notre
bien méditerranéen, notre mer de tendresse et de volcans...
Une mémoire d’instants à sauvegarder, à peaufiner, la redonner
comme on donne et redonne la réplique aux amis, sans façon et avec bonne humeur,
autour d’une table tout ouverte au ciel qui fait frémir les arbres…
Ces arbres dont le poète Pierre Dhainault, citoyen du Nord, disait dans le même recueil « Entrées en
échanges » :
Si nous le prononçons pour lui-même, ce
nom d’ «arbre »,
nous n’aurons qu’une envie, servir à
nouveau
la syllabe ardente […]
Arbre de nos yeux et de nos imaginaires poétiques aussi
pluriel que peuvent l’être les cyprès, pommiers, cerisiers, bouleaux, aubiers, oliviers, grenadiers, pins parasol,
saules, caroubiers et tant de palmiers variés dont :
L’écorce
aussitôt se déchire, le tronc brûle et s’élève :
Il
dit l’entente, il dit l’appel qui vient du monde
Autant
que de la langue […]
[…] Le
souffle est aussi impérieux sous les portes
sur
les caps, tu l’écouteras davantage
amener
de très loin la vague immense qui déferle,
les
embruns qui se brisent, et tu écouteras de même
ce
qui semble un murmure entre tes lèvres,
tu
y auras conscience à la fois d’être unique
et
de n’appartenir qu’au monde.
Regards donc et mots vents en langue arabe et /ou langue
française qui vont « lever » le temps de la photographie écorce par
écorce…
*
(El Hadi Hamdikène à
Arles, en 1992, au siècle passé…)
*
Dunkerque le chant des lieux.
Lumière…
Nuages pelotes de
laines blanches filant dans ciel large du nord.
Rues pavées mouillées,
Tour du Leughenar, ballet de mouettes rieuses
à Malo les bains m’entourent, me
fêtent puis partent dans pluie fine et courses de chars à voiles déhanchés
longeant grève jusqu'à
Bray-Dunes la douce.
Geoffrey marin,
m’attend sur Texel, bateau joli blanc bleu fendillant mollement
Eaux noires du
port, grues surréelles, tankers, antiques entrepôts aux
couleurs rouille passent…
Dunkerque polders
soleil en fuite rideaux dentelés aux fenêtres.
Sourire framboise de
Marie, visitons quartier « excentrique » et ses maisons polychromes,
le parc du Fort Louis
ou quelques statues de grâces mutilées languissent dans
ombres et herbes
hautes.
Voici Mardick le
soir entre chien et loup, fragile, face
aux hauts fourneaux fantomatiques
qui expectorent
vapeurs oranges anthracites.
Errance,
Vent fort sur la
digue, l’Angleterre à un jet de pierre, doit y avoir même clarté,
J’imagine Brighton,
ses palais blancs dorés dans frimas du soir,
galets sur rivage gris
comme dans photos de Bill Brandt.
Immenses les dunes oyats cormorans blockhaus cerf volants.
Le soleil de juin boxe, suivre Marie
à travers sentiers sablonneux
jusqu’au camping du Perroquet et ses mobil homes de luxe(est-ce la
Californie ?)
Nous rejoignons la Panne, symétrie des immeubles aux loggias de verre roses,
vélos tandems conduits par couples euphoriques slalomant dans moiteur
du soir.
Mozart, je plane dans
air doux du printemps, mes yeux parlent aux
Merles et donzelles
aux tuniques légères bleu Matisse,
Photons caressant
azalées et arbres géants où broutent des coccinelles.
La lumière vibre,
halète, devient presque audible humaine…
Ex-voto, pêcheurs d’Islande, corps bariolés dans nuit fauves du
carnaval.
Tout à l’heure
reviendra la mer grosse comme une voix de stentor,
emportera dans ses
bras liquides nos rêves, ses malles de
couteaux et algues brunes.
Phare du Risban
fuselage blanc sentinelle imposante au loin.
Nuées palette gris-
or, virant soudain au rouge vermeil éclairant ciel magique
des Flandres, se disloquent lentement puis tombent en lambeaux dans le large.
Je m’assoie face à la
mer toile mauve ridée, un porte conteneurs lutte au loin contre la houle.
Derrière moi la ville, amas de maisons colorés s’illumine peu à peu comme une
fête foraine.
Mon regard fatigué
mais heureux se ferme lentement comme fondu au noir dans film de Dreyer.
Je pense déjà à
d’autres visages, d’autres embarcadères pour capter toujours rêves,
l’inconnu, l’envers flamboyant
des choses.
El Hadi Hamdikene
-Toutes
les photos de cette « chronique » sont d’El Hadi Hamdikène.
· -
L’exposition
« Chroniques dunquerquoise » se tient du 14 mars au 2 mai 2014
à la galerie du château Coquelle à Dunkerque.
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-Verra-t-on
bientôt cette exposition coté Sud à Annaba, Alger, Oran, Constantine ?...
et le voyage encore
RépondreSupprimerserait de revenir toujours
là où la mer devient cette terre d'accueil
ou d'écueils, dans le lent replis d'une vague infinie
comme une robe de femme au long des dunes bleues
la pluie sur la centrale, des ailes qui tournent et tournent,
gouttes si grises, plumes blanches dans le ciel,
le no man'sland s'arrête au bord de la mer ; puis,
plus rien que le vide et le silence entrecoupé de longs bruissements,
écumes contre coquillages, les bruits du port s'amenuisent,
deux jeunes gens marchent ainsi le long des dunes
les roches en amont d'un autre voyage, toujours partir et revenir,
d'ici à là-bas
lorsque se tend le ciel sur la mer en un vaste geste amoureux
une ronde d'écumes et de goélands
dans la clarté des parfums marins et le rire des enfants
là où la guerre avait meurtri la ville,
au coeur de cette cité si fière et tellement brisée,
mais le port s'éloigne chaque fois plus de notre regard
comment aller de là bas à ici ?
Il faudrait croire que peut-être c'est le même sourire ou le même éclat des embruns
quand les algues s'épuisent sur la grève,
ces visages tendus, ces enfants et les géants du Nord, l'enlacement
des amoureux sur le banc des rêves
un autre songe ou un autre cri,
la mouette s'envole à tire de vent, les vents sont contraires ou perspicaces
qui nous approchent et nous éloignent