vendredi 2 mai 2014

"Le pays d'Abel"



Soudain une tempête de sable. A n’en plus voir la voiture qui nous devance. Ni distinguer les trottoirs des balustrades ou un rond point d’un palmier. Laghouat au cœur de l’Algérie est engloutie en plein jour ; Laghouat la sereine n’est plus qu’un fantôme que j’ai de la peine à photographier…


Une fois les limites de la ville qui trône à 750 mètres d’altitude atteintes, c’est l’éclaircie. Peut être rejoindrons-nous Djelfa en une heure de route, me dis-je …



Magique,  la ligne du djebel Amour se distingue maintenant de façon nette sous la masse nuageuse … Je m’arrête pour photographier la borne kilométrique et l’horizon puis remonte en voiture montrer l’image à Hamid… 




... «Frison Roche… le roman d’une histoire vraie… », me dit l’ami Docteur d’Etat en littérature française pour tout commentaire sur cette belle histoire de la Princesse de Kourdane, prés de Ain Madhi, territoire de la confrérie Tijaniya, à quelques 40 kms de Laghouat…

Puis, je ne sais par quel lien invisible qu’il a noué  par l’évocation d’Aurélie Picard (Lalla Yamina Tidjani), Hamid Nacer-Khodja enchaine avec le célèbre tableau « Chasse au faucon en Algérie : la curée » d’Eugène Fromentin qui se trouve aujourd’hui au Musée d’Orsay et par lequel le peintre-écrivain romantique, arrivant de Djelfa à Laghouat, concevait au printemps de 1853 une représentation idéale d’une noblesse algérienne … 
Cela juste cinq mois après les massacres commis par la colonne militaire du général Joseph Vantini alias Yusuf qui venait de construire la caserne de Djelfa et ses fortifications en 1852… Fromentin consigne d’ailleurs dans ses notes de voyages «Un été au Sahara » avoir vu des cadavres encore dans les rues de Laghouat … Là, il rencontre aussi le notable Si Cherif Belahrèche, ancien lieutenant de l’Emir Abdelkader devenu, après la défaite de l’Emir, le collaborateur des troupes militaires françaises pour la conquête du sud…


De cette antiques piste des caravanes puis des chariots et ensuite des diligences qui, au-delà de l’atlas saharien, menait à Ghardaïa puis, de là, aux monts des Hommes Bleus  jusqu’au cœur de l’Afrique, la route Laghouat-Djelfa est aujourd’hui la route dense des camionneurs, principalement celle des pétroliers depuis la découverte de l’or noir dans les profondeurs du Sahara en 1958… 
Au passage, et tout en roulant à vive allure vers le nord, Hamid me signale le livre d’André Rosfelder, un important ingénieur français qui avait participé à ces découvertes pétrolières. Ce personnage, résistant français durant la deuxième guerre mondiale, gaulliste, ami de Jean Daniel, d’Albert Camus, de Jules Roy et Emmanuel Roblès n’en devint pas moins à la fin d’une guerre de plus de sept ans et demi en Algérie un extrémiste « Algérie française » à mort…



 

On se demande ce qu’en aurait  pensé Camus journaliste s’il avait vécu?...
Lui l’auteur des pertinentes et solitaires nouvelles : « La femme adultère » et « L’hôte » parues dans « L’exil et le royaume »… La première d’entre elles narrant la traversée de ces immensités steppiques et désertiques par un couple  de français d’Algérie dans un car, poussif,  « […] plein d’Arabes,  qui faisaient mine de dormir, enfouis dans leur burnous […] Le chauffeur dit à la cantonade quelques mots dans cette langue qu’elle avait entendue  toute sa vie sans jamais la comprendre. « Qu’est ce que c’est ? » demanda Marcel. Le chauffeur, en français cette fois, dit que le sable avait dû boucher le carburateur, et Marcel maudit encore ce pays. Le chauffeur rit de toutes ses dents et assura que ce n’était rien, qu’il allait déboucher le carburateur  et qu’ensuite on s’en irait »… 
 Pays et paysages grandioses même si austères que le peintre orientaliste Gustave Guillaumet avait de son coté commencé à faire connaitre au dernier tiers du 19ème siècle par ses peintures (dont certaines sont conservées également au Musée D’Orsay) ainsi que par ses écrits, «Tableaux algériens », parus entre 1879 et 1884 dans la «Nouvelle Revue »……
 La même route de Djelfa par laquelle  un certain imam Abdelhamid Benbadis avait pour le compte de l’Association des Oulama sillonné la région en 1939 jusqu’à la vieille cité de Laghouat où un poète de noble descendance, Abdellah Ben Keriou, avait quelques décennies auparavant désespérément chanter une « belle » qu’on lui refusait et pour laquelle on alla jusqu’à l’exiler loin de sa ville multiséculaire…
Un autre voyageur, Mouloud Feraoun, y séjourna dit-on sans qu’on sache exactement à quelle date, lui qui à la fin de sa vie alors qu’approchait l’Indépendance de tous les vœux allait faire un voyage jusqu’en Grèce et se mettre à la publication des « Poèmes de Si Mohand »…




« Les moutons marchent de Laghouat à Djelfa »… est le refrain d’une chanson du grand artiste Khlifi Ahmed dans les années soixante accompagné du ney, la flûte… Cette région austère et si sobrement lumineuse où quand le vent souffle il ressemble  à s’y méprendre au son nostalgique du ney, de la flûte de roseau…


A mi parcours de notre voyage dans le voyage en ce premier mai vers Djelfa, nous laissons Hamid et moi l’Atlas Saharien se désaltérant encore sous la nuée au profit de ses innombrables troupeaux de moutons qui lui ont donné la réputation d’être un pays vert, « le pays d’Abel » le pasteur…


Hamid Nacer Khodja et moi même sur la route...


(les photos, exceptée la gravure et la peinture, sont de Abd. Djelfaoui)






 






1 commentaire:

  1. un périple historique et littéraire en prose et photographies à travers la steppe par la finesse et la subtilité de la plume et du canon du plus djelfaoui que tous les djelfaouis: Abderrahmane chante sa terre comme Benkerriou chanta Fatna za3nounia ou Benguitoune Hayzia , avec la même flamme passionnée errant dans les échos du mont Amour ...

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