Né en 1898, Federico García Lorca est certainement le poète et le dramaturge d’Espagne le plus connu jusqu’à ce jour.
Vivant à Grenade (la ville de l’Alhambra, «El Hamra», la rouge), il avait travaillé
régulièrement le piano dés l’âge de dix ans sous la conduite d’un maître et avait
rédigé Impressions et paysages son premier livre d’un voyage fait en
Castille avec sa classe d'art alors qu’il n’avait que 19 ans.
A 21 ans, cet
andalou parti s’installer à Madrid où se trouvait réunie l’élite culturelle
pour se consacrer à son art en organisant des représentations théâtrales et des
lectures poétiques. Son travail sur les chants et romances populaires mené depuis
de très longues années montre son immense intérêt pour les vieilles traditions,
le flamenco et la culture tsigane dont il cherchait les lointaines origines
d’Orient…
En 1922, il organisa
avec de célèbres personnalités (dont le compositeur Manuel de Falla) la fête du
"Cante Jondo» (Chant profond). Il découvrit et s’oxygèna
alors de Surréalisme avec le peintre Salvador Dalí (« Ode à Salvador Dali ») et le cinéaste Luis Buñuel. En1928 il
n’a que trente ans quand son recueil Romancero Gitano le porte au top de
la renommée dans son pays et dans la
plupart des pays de langue hispanique.
En 1929, après
l’interdiction de sa pièce les Amours de don Perlimplín, une farce
jugée scandaleuse, il embarque
pour New York (où il a le coup de cœur pour Harlem, pour le jazz). Là, il vit
une année en résidence universitaire avant de «descendre» à la Havane de Cuba où il donne une série de conférences
qui ont un formidable succès. Dans une lettre qu’il adresse à ses parents
depuis Cuba, il interpelle : « N’oubliez
pas, vous-mêmes, qu’en Amérique être poète représente davantage que d’être
prince en Europe »…
En 1930,
après la chute du dictateur Miguel Primo de Rivera, il retourne en Espagne et
participe au deuxième congrès de l'Union fédérale des étudiants hispaniques. Ce
congrès décide de construire "La
Barraca" (théâtre étudiant subventionné) où seront produites des
pièces importantes, dont des pièces de Cervantès, de Calderon ou de Lope de
Vega ; d’autres de Garcia Lorca lui-même (sur la douzaine de pièces qu’il
a écrites) dont Noces de sang (1933).
Année où pour la première fois Lorca commence à vivre des revenus que lui
rapportent ses œuvres….
Garcia Lorca/ Poètes arabes (…les
origines…)
C’est
en ces années trente (années qui suivent le grand krash économique de 29) que
Garcia Lorca, qui continue de développer une activité artistique et culturelle très
riche, a le projet d’approfondir ses connaissances pour écrire un livre sur les
poètes arabes de sa ville de Grenade tel Ibn Zarmak et d’autres…
Cela
est rapporté par Jocelyne
Aubé-Bourligneux, son plus grand biographe, qui, dans « Lorca ou la sublime mélancolie » (un
monument de plus de 2000 pages ! publié aux éditions Aden, dirigées par
Nahel Lazhar) rapporte que Lorca «s’était
attaché à renouer avec les vieux poètes musulmans de sa ville, partout où ils
avaient laissé des traces».
C’est
que l’une des préoccupations de Lorca est l’affinité qu’il décèle entre
certains chants andalous (siguiriyeros)
« et les poètes orientaux pour ce
qui est de l’éloge du vin »…
Bien
des années auparavant, lors d’une célèbre conférence donnée en 1922 sur «Qu’est ce que le cante jondo ? »,
il avait déjà nommément cité nombre de poètes arabes anciens avec des extraits
de leurs poèmes.
Le
premier : Serraj El Warak (1218-1296) :
« La
tourterelle m’ôtant le sommeil
m’empêchant
de rêver avec ses plaintes,
elle-même
est comme mon cœur ardent
qui
brûle et se consume en vives flammes ».
Aussi
quatre vers du poète Ibn Ziati que Fedérico Garcia Lorca commente en disant qu’il
a « écrit pour la mort de sa bien
aimée la même élégie qu’aurait chantée un homme du peuple andalou » :
« Va
donc visiter la tombe de ton aimée
me
conseillent mes amis pour me consoler,
mais
je leur ai répliqué : mes amis, a-t-elle
un
autre tombeau que mon cœur en ma poitrine ? »
Puis
ce sera l’immense Hafez de Chiraz, que le poète andalou définit lui-même comme
«le poète national de la Perse qui chanta
le vin, […] l’exquise obsession des chevelures
[des] belles femmes, les pierres mystérieuses et la nuit bleue infinie
de Chiraz », au XIVème siècle, et dont il cite ces vers :
« Depuis
que tu es sourd
à
l’écho de ma voix,
mon
cœur sombre en sa peine
et
vers mes yeux brûlants
envoie
des flots de sang »
Et
Lorca de comparer ces vers avec la Copla
de seguiriya gitana :
« Non,
de ces amours là
point
ne veux de mémoire
à
l’heure où mon cœur pleure
en
larmes-sang perlées »…
Ces
poètes arabes il la a fréquenté, lu et relu depuis longtemps, surtout les Rubâ’iyyaât de l’immémorial Khayyâm…
Comme rapporté dans le livre de sa biographe (mentionné plus haut), le frère du
poète atteste dans un livre-témoignage que Fédérico possédait bel et bien dans
sa bibliothèque à la maison paternelle de Grenade un exemplaire des œuvres de
Omar Khayyam, édité à Madrid en 1917et portant la signature : « F. Garcia (…) Novembre – 1917/23 »
Bains
arabes à Madrid
« Moi, comme l’ombre d’un ancien
Omar »…
En
fait c’est dés la fin juin de cette année 1917 que l’Orient est déjà « en
travail » dans l’un des poèmes de Lorca alors âgé de 19 ans et qu’il
intitule : « Chanson. Rêverie
et confusion ». On y trouve ce morceau :
« (…)
Ce fut une nuit lourde de luxure.
Nuit
dorée d’or dans l’Orient ancestral,
Nuit
de baisers, de lumière et caresses,
Nuit
incarnat de tulle passionnel…
Un
songe de tissus d’Alger, Damas
Parfumait,
langueur languide, nos cœurs. »
Et
où il mentionne, en passant: « Moi, comme
l’ombre d’un ancien Omar », qui n’est bien entendu qu’Omar Khayyâm.
A la
même époque parait un étonnant et « énigmatique » article dans le
journal « Les lettres » de Grenade, en date du 30 octobre 1917, ayant
pour titre « Comentarios a Omar
Kayyam », signé d’un secret et mystérieux Abu-Abd-Alah… Des dizaines
d’années plus tard on saura et il sera confirmé que ce pseudo d’ Abu-Abd-Alah n’est
autre que celui du jeune, très jeune… Fédérico Garcia Lorca qui avait tenu
à publier incognito : « Oh !
Magnifique Oriental au brillant éclatant de lune ! »
Et
le jeune provincial caché derrière la signature d’Abu-Abd-Alah de poursuivre en
s’exclamant : « Le vin versé
dans les coupes de nos cœurs et modulé sur les échelles merveilleuses de nos
sentiments nous donne certainement la vision exacte de notre sensation
d’exister et de notre existence. Amour ! Beaucoup d’amour »…
Avant
d’interpeller avec admiration Khayyam lui-même:
« … Divin et spirituel Omar de Nishâpur, toi tu
as vu les hommes en train de lutter amarrés à l’hier comme au demain, et tu as
vu proclamer le triomphe de l’aujourd’hui ! Toi, tu as contemplé le monde
et sa mer de confusion et tu as dis, admirable :
« Aujourd’hui ! Aujourd’hui ! Apportez moi du vin et les lèvres
de l’aimée. Les roses sont les fleurs des fleurs, en elles est le vin du
parfum. Déjà vient la nuit, mais j’allume ma torche de vin et de passion»… Mais la vie est le présent. Que nous importe ce qui est passé ou ce qui
viendra ? Quand pleurons-nous ? Maintenant. Quand jouissons-nous ?
Maintenant. Quand mourons-nous ? Maintenant.»…
Magnifique
hommage du jeune Elève au Maître, Lui qui allait par la tragédie devenir un des
Maîtres des Lettres Modernes.
Ce texte est paru sous mon nom
dans le magazine littéraire Livrescq,
janvier 2014
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