« (…) qu’est-ce que je vais faire avec un tel diplôme ?... »
Et le peintre de partir à la découverte
du monde…
Interview (mai 1998)
« Mon cheval de craie », 1996
Abderrahmane
Djelfaoui. Combien d’années tu as finalement passé en Espagne pour ta
formation ?
Mostefa Nedjaï. J’avais
eu une bourse pour cinq années d’études plus une année de langue, donc six en
tout. J’avais terminé ces études, et malgré que je n’aie plus de bourse j’avais
continué deux autres années encore pour un doctorat. Je me suis inscrit, j’ai
payé mes frais et commencé à suivre ces cours mais, un peu après, comme ça, je
me suis décidé d'arrêter. Je me suis dis : qu’est-ce que je vais faire avec un tel diplôme ? Je n’en n’ai
pas besoin !.. J’ai préféré continuer dans l’aventure des
expositions…
A. D. En
peintre professionnel à plein temps…
M. N. Exactement.
D’ailleurs à cette époque là j’ai pu également exposer à Paris en participant à
une exposition collective…
A. D. Tout en
continuant à vivre et travailler en Espagne ?
M. N. Totalement !
Je travaillais pour gagner ma vie, parce que je n’avais plus de bourse, ma
femme aussi. J’exposais, j’essayais de vendre un peu…
Il faut
aussi souligner un élément essentiel que j’ai oublié de signaler : pendant
les huit ans passés là bas ça a été
aussi dans ma vie la plus grande chance pour voyager. Les voyages n’étaient pas
chers ; il y avait les tarifs étudiants. Avec les seules bourses de ma
femme et de moi-même nous avons pu faire la moitié, si ce n’est plus, de
l’Europe ; aller aux Etats Unis, au Venezuela ! Tout cela c’étaient
des voyages que nous avons payé nous mêmes. C’était formidable, parce que pour
moi ces voyages ont été ma plus grande formation. Portugal, France, la
Belgique, l’Italie, l’Angleterre, etc. Et en 1982, comme je te l’ai dit, nous
sommes allé jusqu’aux Etats Unis, en vacances. C’est là, entre autres villes,
que nous avons visité à Washington l’extraordinaire Musée national de l'air et de l'espace où on a pu admirer des
avions grandeur nature suspendus aux
plafonds! Mais aussi les capsules
spatiales Gémini et Appolo…
Nora et Mustapha Nedjai devant la capsule spatiale Apollo
au National Air and Space Museum à Washington,
D.C.
C’était, il faut le dire, des voyages improvisés, jamais
organisés, parce que je crois que jusqu’à présent je n’ai jamais rien su
organiser à l’avance. Je suis spontané !.. C’est comme ça que passant avec
ma femme devant une agence de voyages nous avons vu écrit : Voyage aux Etats Unis, pour 18 000
pésétas à l’époque, ce qui représente quelque chose comme 900 FF. On se
regarde, ma femme et moi : on y
va ? Oui ? Non ? Oui , on y va !… Une fois aux
Etats Unis, nous avons fait Washington, Philadelphia, New York, New Jersey,
etc. A New York en passant dans la 46ème Avenue, je crois, on
voit une annonce : « Venezuela,
7 jours, 75 dollars »… On s’est regardé ma femme et moi en se
demandant : on y va ?..
Elle me demande si notre argent suffirait. J’ai répondu oui, et nous sommes
partis pour le Venezuela !
Je
continue toujours à faire les choses ainsi : je ne prévois rien. Tous mes
autres séjours, en France ou en Allemagne ont été de totales coïncidences. Il y
a des gens pour qui voyager est une volonté de sortir, pour moi cela a toujours
été des rencontres de hasard. Par exemple, quand j’ai été en Allemagne ce
n’était que pour une exposition, à une
époque ou ça allait très mal en Algérie, début 1995.
Avec Liliane El Hachemi, à la Galerie Ayda, Hamburg,
Allemagne ; 1995
J’ai exposé, puis une association m’a proposé une
bourse d’une année à condition de travailler sur un thème et de le remettre à
la fin de l’année. J’ai travaillé sur un livre que j’avais déjà commencé à
Alger avec un enfant. J’ai ainsi passé une année en Allemagne et j’y ai terminé
mon livre. Par un autre hasard je fais une exposition et j’expose ce livre. Là,
je rencontre une autre association qui milite contre le racisme et sur les questions
de l’immigration en Allemagne... Ils me demandent si je suis intéressé à
travailler avec eux durant environ un an et demi… C’était en fait une étude
financée par la compagnie Volswagen et la Communauté européenne sur les
questions de l’immigration et du racisme entre deux villes : Londres et
Hambourg. Ils ajoutent que le travail se fera avec des écoles, des enfants,
qu’il faudra des photos et des dessins. Le fait d’avoir vu mon livre les avait intéressés.
J’ai répondu oui, et je suis resté une année et demi de plus, tout en faisant
des traversées en bateaux sur la Mer du nord avec des enfants entre Londres et
Hambourg et vice versa…
Le corps est malade, 1995- 57 cm x 42 cm
Et à chaque fois ce sont des événements de ce type qui
m’arrivent ; ce que j’appelle des rencontres. Même pour ce qui est de mes
expositions. J’ai par exemple été simplement en voyage de tourisme en
Hollande ; un mois après j’y revenais pour une exposition. Ce ne sont pas
des occasions que je recherche vraiment ou que je provoque. En fait je suis
comme ça de nature, je me laisse aller à la découverte et, comme on dit chez
nous, je prends ce que je trouve sur la route… Le poète espagnol Antonio
Machado le dit : « Se hace
camino al endar », le chemin se fait en marchant, et moi c’est un peu
ça… Le poème entier est :
« Caminante no hay
camino
e hace camino al
endar »,
Ce qui peut se traduire à peu prés par:
Toi qui marche, il
n’y a pas de chemin
Le chemin se fait en
marchant.
Mustapha avec Nora habillée à la mode traditionnelle de
Valence…
(à suivre : Prochain article « Dur
retour au pays : hna i mout Kaci ! »)
* Je remercie Mustapha Nedjai pour les documents photographiques personnels qu'il a mis à ma disposition.
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