(Alors
que je participais aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles en
juillet 1997, j’eus le grand bonheur d’interviewer celui qu’on nomma « L’œil
du siècle »… Ici, dix sept ans après, le court récit de cette rencontre
qui paru dans la page Culture d’El Watan du mardi 5 aout 1997)
Il
était l’un des prestigieux invités du colloque Image et politique des dernières
Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Parmi la centaine de participants
aux débats, il était là appuyé sur sa canne, attentif, discret et silencieux.
Propos recueillis par
ABDERRAHMANE DJELFAOUI
A l’occasion d’une suspension de séance, j’abordais avec émotion et
respect cet artiste qui va sur ses 90 ans. Alors que je luis serrais la main en
lui disant « Monsieur Henri Cartier- Bresson »,
il me répondit avec la sérénité de ses yeux clairs qui n’ont cessé de témoigner
des ombres et des lumières de notre siècle : « Pas de Monsieur, n’est-ce pas (…) »
Bien sûr, il était tentant d’interroger longuement ce vieil homme doux,
toujours créatif et libre qui a profondément marqué la photographie de notre
temps. Mais vu le timing du colloque
et des Rencontres, Henri Cartier-Bresson décida de me dire « juste quelques mots sur l’Algérie ; c’est
mon hommage à votre lutte et à votre courage ».
Après une profonde inspiration : « Je dois dire qu’avec Magnum, juste après la guerre de 39/45, je suis
allé en Orient, et j’ai enregistré dans mon appareil tout le processus de décolonisation.
En Inde, en Indonésie, etc.
« Il y a eu aussi la guerre
d’Indochine. Bêtement, j’avais fait la démarche pour avoir un visa afin d’y
aller, car je suis contre la guerre, n’est-ce pas ?
« Je voulais témoigner
contre la guerre coloniale au Nord Vietnam, mais évidemment je n’ai pas eu de
visa (…)
« L’Algérie ! J’étais
aussi contre la guerre d’Algérie. Je voulais y aller et photographier, mais
Roger Théron de Match (que je connaissais et qui a utilisé tous les reportages
de Magnum que nous faisions dans le monde) m’a dit : si tu vas là-bas, tu seras
entre les mains de la police militaire et tu ne pourras rien faire ;
abstiens-toi ! Voilà (…) C’est-à-dire que nous avons trainé nos guêtres
dans les différents pays du monde, mais nous n’avons rien sur la guerre d’Algérie !
« Il vous faut dire que Marc
Riboud et moi étions à Paris et que nous étions responsables à cette époque des
archives de vingt reporters photographes qui travaillaient pour Magnum. Si nous
avions été en Algérie, avec les positions franchement anticolonialistes que
nous avions, nous aurions été plastiqués (…)
« Un de nos amis photographe,
un Hollandais, a quand réussi à y aller et faire de très bonnes photos, mais
Magnum n’a pas pu encore les diffuser !
« Alors concernant l’Algérie,
il y a un trou, pas dans la mémoire, mais dans les archives. C’est très grave.
« C’est une chose dans ma
vie dont je ne me remets pas. Marc Riboud non plus, ni beaucoup de mes
camarades qui soutenions le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes(…)
« Alors, aujourd’hui, votre
témoignage d’Algériens à Arles était un grand Requiem. C’était bouleversant (…) »
La leçon d’une vie
« Tout ce que peut vous dire
l’homme que je suis, c’est que la photographie de reportage est une
conversation, n’est-ce pas. C’est une conversation silencieuse, sauf pour le
bruit du déclic, le 125è de seconde, que provoque le doigt qui vient de haut en
bas.
« Pour moi ce doigt ne doit
jamais être à l’horizontale et ne jamais tirer sur la gâchette d’une arme
quelconque…
« La violence contre les
simples gens ne mène absolument à rien. Cette violence entraine la mort, un
point c’est tout. Pour vivre, il faut de la tolérance, parfois du pardon et
surtout construire l’avenir. Et l’avenir ne peut pas être fait que de
conversations (…)
« Vous savez, dans la Chine
antique d’il y a des milliers d’années, il y avait un mépris profond pour le
militaire. Quand il y avait lutte, celui qui avait frappé le premier avait
toujours tort. La leçon que j’en tire et qu’il vaut mieux parler, parler,
parler (…) Personne ne détient la vérité ! Nous vivons dans un monde de
doute. Qui sait comment demain sera fait ?... La mort nous attend tous,
mais il ne faut pas que ce soit la mort violente, non ! La mort est tout a
fait naturelle. La souffrance ne l’est pas. Et nous pensons à tous vos
camarades, à tous ceux qui sont là bas en Algérie (…) Vous luttez, continuez !
Il y a une solidarité avec vous tous. Salut (…) »
Et le salut n’était pas sa
dernière expression, car une larme perlait aux yeux de Henri Cartier-Bresson…
Arles, juillet 1997
·
Né en 1908, il expose ses premières photographies en
1932 à New York. Avant-guerre, il est tour à tour l’ami des surréalistes, l’assistant
du metteur en scène Jean Renoir et cinéaste documentariste dans « L’Espagne antifranquiste ».
Après s’être évadé d’un camp de
concentration allemand et rejoint la résistance, il fonde en 1947 avec les
photographes Robert Capa et David Seymour l’agence Magnum-photos.
Il voyagera sa vie durant en Asie, en
Amérique latine, en Afrique, en URSS (où il est le premier photographe admis
après le dégel), en Chine, à Cuba, au Canada, etc.
Henri Cartier-Bresson qui côtoya et
photographia les plus grands artistes, de Matisse à William Faulkner, édita de
nombreux livres de ses photos à travers le monde.
Depuis 1974, il ; se consacre au
dessin, et il a déjà exposé à New York, Zurich, Paris et Mexico.
Une dizaine de films réalisés au banc titre sur ses
photos ont été produits depuis les années 60 en Allemagne, en Angleterre, au Canada,
En France et aux USA.
© Henri Cartier-Bresson / Magnum
Nehru et sa fille Indira Ghandi en 1947
© Henri Cartier-Bresson
Faulkner et ses deux chiens.
© Henri Cartier-Bresson
Matisse © Henri Cartier-Bresson / Magnum
Exposition Henri Cartier-Bresson
au Centre Georges Pompidou,
Paris, du 12
février 2014
au 9 juin 2014
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