Cela commence presque toujours
comme une sorte d’irréalité… Je veux dire les premiers marcheurs, le premier
carré… Tellement le poids de la mémoire morte (« la chaussée
n’appartient pas aux gens, etc ») est lourd sur la conscience des
vivants, celles et ceux qui finalement osent et feront de la marche une
nécessité qui s’impose d’elle même…
Puis la réalité physique
innombrable des personnes avec leur inexorable avancée sous le soleil, leurs
voix, les myriades de mouvements de leurs bras, yeux, têtes, casquettes,
foulards, drapeaux, pancartes, pshit-pshit d’eau vaporisée au dessus de toutes
et tous les rafraîchir un peu, tout cela dans une unité d’ensemble étonnante
créé un réel-présent libéré, évident,
pacifique et neuf… Ceux qui n’ont jamais ainsi « marché »
resteront à mon avis longtemps au bord d’un mystère, le leur, bord trou noir existentiel…
Un visage heureux et bon de part son regard et son sourire
Malgré les rides de la peine...
Malgré les rides de la peine...
Les rides du temps... On est içi- encore un peu
ailleurs…
On est déjà en fait dans
le futur…
Jeunes des quartiers populaires,
Alors, il faut bien en
convenir : c’est une avalanche de l'Histoire! Mais une avalanche douce, sereine et pacifique de beau temps.
Secouristes et enfants dans une
chambre donnant sur la rue regardent passer les flux des leurs : un peu
comme leurs voisins, leurs lointains parents…
Quatre cent mètres plus loin, un
peu plus haut puisque le boulevard Hassiba Ben Bouali remonte en légère
pente, c’est la rencontre au bord du trottoir avec les frères Tarik et Yacine
Téguia, cinéastes, en train de filmer…
Ils sont tous deux (pour le dire
très brièvement) fils de Mohamed Téguia, officier de la Wilaya IV durant la Guerre de Libération nationale, membre
de l’ORP en 1965 –il sera arrêté et torturé- avant de poursuivre des études universitaires,
devenir historien de la Révolution, puis décéder le 27 janvier 1988, il y a 30
ans, à l’âge de 61 ans.
Juste au dessus de la trémie reliant
Hassiba Ben Bouali à Amirouche, une jeune reporter de l'Agence France Presse
(au vu du sigle imprimé sur le micro) filme.
Je me dis que des milliers de nos visages et
sons de nos voix vont traverser la mer aujourd'hui et pénétrer dans
d'innombrables et paisibles maisons françaises à l'heure des infos annonçant les
manifestations des gilets jaunes du lendemain…
Sur les épaules de son père, sure
d’elle, elle élève haut son écriteau en arabe au regard de tous les
futurologues : « LE PEUPLE LIBRE EMPORTERA TOUS CEUX QUI SE METTRONT
EN TRAVERS DE SON CHEMIN »
En mémoire d'une célèbre marche de rue Macron – Bensalah main
dans la main à Alger...
Cheikh
Ahadad (1790-1873) : un des leaders kabyles de l’insurrection de 1871
contre les armées coloniales françaises, aux côtés du cheikh El Mokrani et de son frère Boumezrag. Il meurt en détention à la
prison de Constantine le 29 avril 1873.
Mokrani meurt au combat. Son frère Boumezrag déporté en Nouvelle-
Calédonie et ne rentrera en Algérie qu’en 1904 pour y mourir…
Les derniers mots en bas de la
pancarte écrits en algérien signifient : « Nous nous redressons
tous ». Et des centaines et des centaines d’autres pancartes, petites ou
grandes, toutes personnalisées et réalisées à la va-vite exprimant un double
(si ce n’est un triple) arc-en-ciel complet dans le ciel du devenir humain…
La marche de ce vendredi pratiquement close au centre ville,
j'ai rejoins à pied puis en bus le quartier du Ruisseau où je suis allé me
recueillir, un moment, devant le petit monument érigé à la mémoire du grand
révolutionnaire mexicain Emiliano Zapata, défenseur jusqu'à la mort de la
paysannerie opprimée de sa patrie…
Alors bien sur « VIVA
ZAPATA ! » avec « QUE VIVA MEXICO » !
Ces deux phares de l’art du XXème
siècle avec leurs créateurs, écrivains, comédiens qui nous ont permis de rêver
jeunes et même d’amplifier aujourd’hui (autrement il est vrai) ce rêve mûri qui
n’est en fait qu’un chemin, une route à l’infini pour tous les descendants
humains des étoiles et leur poussière…
Abderrahmane Djelfaoui
Ain Naadja. 15 juin 2019
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